par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.
Jeudi du jazz de Larural, Créon le 14 février 2019.
Accordez, accordez, accordez donc la place à l’accordé, l’accordéon ! *
Dans le jazz l’accordéon a longtemps été relégué à une place subalterne. Certes, auprès de Django, Jo Privat a mêlé le musette au swing, Marcel Azzola a planté d’autres jalons mais il a fallu attendre les années 70 voire 80 pour que l’instrument ne soit plus ringardisé, grâce à des gens comme Marc Perrone, Marc Berthoumieux, Richard Galliano et d’autres. Dans la jeune génération c’est Vincent Peirani qui mène le bal si j’ose dire. Et voilà donc Gaëtan Larrue jeune accordéoniste girondin qui pointe son nez dans le paysage.
Il est là ce soir à ce Jeudi du Jazz pour nous présenter son GL. Project en compagnie de six autres musiciens : Nolwenn Leizour (contrebasse), Sandrine Régot (voix), Hugo Valantin le bien nommé en ce 14 février (guitare), Xavier Duprat (claviers) Thomas Darthiail (percussions), Thierry Volto (batterie). Ce concert est la restitution sur scène de l’album « Décal’temps » qui vient de sortir, enregistré avec 23 musiciens, certes jamais ensemble.
Il y a donc fallu un gros travail de mise en place pour adapter le tout au septet. C’est seulement le second concert du groupe à l’occasion de ce Jeudi du Jazz qui existe depuis 10 ans maintenant. Bonne nouvelle, le public a répondu présent et une fois la dégustation de vin terminée et le repas englouti, il va se montrer une nouvelle fois attentif au spectacle. Un exemple pour certains lieux bruyants, ici on respecte les musiciens. L’association Larural les accueille en plus très bien et question son et lumières ils sont toujours gâtés.
C’est beau un accordéon, celui de Gaëtan particulièrement, un Victoria en épicéa massif, un superbe objet, et son timbre est tellement riche, des sons aigrelets aux basses profondes. Reste à s’en servir, ce que le jeune musicien sait très bien faire depuis déjà longtemps. Il va jouer sa propre musique en plus, principalement, à quelques emprunts près, ça aussi c’est la marque de ceux qui ont quelque chose en plus. Il a même inventé un univers qui tout comme le nôtre est en expansion, de la ballade la plus dépouillée à ce qui pourrait être une BO puissante de cinéma. L’art de créer une ambiance autour d’une mélodie enrichie pas les uns et les autres, du jazz.
Passer du menuet au séga, pas la console de jeu mais le style musical réunionnais, il faut oser le faire. Créer un climat de bord de mer avec les effets à l’archet de Nolwenn, tantôt cris de mouettes, tantôt chants de baleines, lancer un groove bien balancé sur une biguine de Marc Berthoumieux qu’on écouterait jusqu’au bout de la nuit, autant de moments variés, plein de rondeur et d’épaisseur. Tout ça autour d’un accordéon.
Ils sont sept, ça s’entend, ils se nourrissent l’un de l’autre. Voilà un hommage à Claude Nougaro puis un autre à Marcel, celui qui chauffe, Azzola, récemment disparu, avec le légendaire « Vesoul » dans un arrangement très original. Gaëtan n’oublie pas l’histoire de son instrument, tout comme il n’oublie pas son professeur Loris Capelli pour lequel il a composé un titre. Un moment de virtuosité et d’émotion. Il devait être un grand professeur ce monsieur quand on voit comment joue son élève. Il a aussi appris l’accordéon à un certain Bernard Lubat…
Gaëtan s’est très bien entouré. Nous découvrons la polyvalence d’Hugo Valantin tantôt avec sa Godin très nature tantôt avec sa demi-caisse électrique. Les congas de Thomas Darthiail ajoutent une note exotique et latino, la batterie de Thierry Volto nous rappelant que c’est du jazz et que le beat y est fondamental. Nolwenn Leizour, avec toujours ce port altier, prend visiblement grand plaisir, jouant parfois la mélodie.
Xavier Duprat discret derrière son clavier dresse ses nappes et parfois prend la parole pour un bon chorus. Mais la vraie surprise c’est Sandrine Regot, une voix et une présence incroyables. Elle chante, scatte, vocalise, crie, murmure, elle sollicite le public, le fait chanter, elle provoque le batteur dans un duel insensé de questions réponses, couvrant un nombre d’octaves effarant. « Et pourtant je sors de maladie et n’ai pas complètement récupéré » nous dira t-elle !
Du spectacle vivant, bien vivant, de la création, de la vraie, par un jeune musicien qui ose s’éloigner de ce qu’écoutent ou seulement entendent ses congénères. Où sont-ils d’ailleurs ceux-là, le public n’est pas des plus jeunes, comment faut-il faire pour leur ouvrir les oreilles à « autre chose » ?
Le lendemain ce sera au tour d’un autre accordéoniste d’occuper le lieu, Vincent Peirani en compagnie de son complice Emile Parisien, la jeune garde du jazz français, il y a de l’espoir quand même…
* d’après Serge Gainsbourg qui lui demandait de lui accorder l’aumône
www.larural.fr
épilogue : très jolie rencontre entre Gaëtan et Vincent le vendredi, ils étaient inséparables après le concert à parler boutique.