Scott Joplin à l’Opéra : Treemonisha
par Philippe Desmond
Auditorium de l’Opéra de Bordeaux, vendredi 24 mai 2024.
Ce n’est pas tous les jours qu’Action Jazz vous emmène à l’opéra ! En plus pour pas vraiment du jazz… Pas du tout même. Mais dans le cadre de notre partenariat avec l’Opéra de Bordeaux ce spectacle nous avait interpellé car composé par un certain Scott Joplin plus célèbre par ses compositions de Ragtime, une des influences du jazz, que pour ses œuvres lyriques. Le jazz est en train de naître en cette année 1911 quand l’opéra « Treemonisha » est écrit et le Ragtime et ses rythmes syncopés vont se noyer dans ce nouveau courant. Le pianiste et compositeur américain a déjà un beau parcours derrière lui dont « Mafle Leaf Rag » composé en 1899 et le fameux « The Entertainer » en 1902.
Certainement influencé par son épouse, partisane du droit des femmes – déjà – et de la culture afro-américaine, Scott Joplin se lance dans l’écriture d’une œuvre résolument féministe, véritable ode à l’éducation et à la tolérance. Jamais mis en scène du vivant du compositeur (1868-1917), oublié durant des décennies, l’opéra sera monté en création mondiale en janvier 1972 à Atlanta. La mise en scène originale de cet opéra pour chœur ici à Bordeaux est l’œuvre de Claire Manjarrès.
Treemonisha est la fille adoptive de Monisha, trouvée bébé sous un arbre (d’où son nom) dans une ancienne exploitation d’esclaves désormais affranchis. Pour autant l’alcool, les superstitions, la spiritualité, le manque d’éducation aveuglent les membres de cette communauté. Treemonisha qui, elle, a appris à lire et à écrire, va s’employer après maintes péripéties à ouvrir les yeux de ses congénères, devenant même la cheffe de la communauté. Parti pris féministe donc, très innovant à l’époque et qui associé au fait que la communauté est noire, a certainement participé à « l’oubli » de cette œuvre dans une Amérique traditionaliste et en pleine ségrégation. La metteure en scène souligne que le fait de produire cette œuvre à Bordeaux est hautement symbolique au vu du passé négrier de notre capitale, son auteur étant noir et fils d’esclave affranchi.
Dans un décor simple ( les opéras « zéro achat » mis en place par l’organisation), des un tas de bottes de paille au milieu desquelles se trouvent le pianiste Martin Tembremande et Alexis Duffaure aux percussions, près de quarante chanteuses, chanteurs et choristes-acteurs, sur scène tout le temps, vont nous entraîner dans leur univers et leurs aventures avec une énergie joyeuse ou émouvante. Dirigés par Salvatore Caputo le chef de chœur de l’Opéra de Bordeaux, ces artistes vont véritablement tourbillonner, Treemonisha, interprétée par l’excellente soprano Marjolaine Horeaux, finissant par arriver à ses fins. Musicalement, je l’ai dit, rien à voir avec le jazz sinon quelques passages évoquant le Ragtime, dont le final flamboyant avec « Slow Rag », les acteurs s’éparpillant dans la salle, le public en liesse marquant la mesure. Une œuvre somme toute assez banale musicalement et à l’argument simpliste mais un rendu très joyeux sur scène dans cette mise en scène.
Cette création est ainsi une jolie découverte, révélant un aspect inédit de Scott Joplin réduit au fil du temps à deux « tubes » seulement.