
Par Philippe Desmond
Pôle Évasion, Ambarès (33), le vendredi 24 janvier 2025.
Le jazz – ou swing – manouche est un style de musique connu de tous, amateurs ou néophytes, apprécié souvent pour la virtuosité qu’il affiche et par ses rythmes enlevés. Principalement instrumental, on ignore qu’il est vecteur de la ferveur religieuse des gens du voyage, comme on nomme désormais ces peuples gitans, tziganes, roms… « Inventé » par Django Reinhardt dans les années 30 avec Stéphane Grappelli, cette façon de jouer de la musique s’est propagée dans le milieu par tradition orale, apprentissage « sur le tas » et en famille, très peu de musiciens maîtrisant le solfège.
Ce soir au Pôle Évasion d’Ambarès c’est un concert un peu particulier auquel nous assistons dans le cadre d’une manifestation baptisée « La longue marche du peuple nomade ». En collaboration avec la municipalité, la communauté des gens du voyage, assez importante dans cette ville, a organisé un concert rencontre. Une exposition décrivant leur mode de vie, leurs tragédies, l’holocauste bien entendu, accueille le public. Une action a aussi été menée avec le collège local. Les familles de la communauté sont là et pas mal de « gadjos » sont venus, l’occasion de rencontrer des gens dont on se méfie souvent, dixit les organisateurs avec à leur tête Peter Hart du cirque du même nom et de la mission évangélique Vie et Lumière. La notion de partage a ainsi souvent été évoquée lors de la soirée.
L’affiche ne mentionne pas les musiciens, nous allons donc les découvrir. Ils sont quatre : deux solistes magnifiques, Elkana Reverdy (guitare lead) , Bruce Reinhard sans « t » a la fin ( guitare lead et rythmique, chant) Jemuel Reverdy ( guitare rythmique) Jephte Leman (contrebasse , chant et présentation). Leur nom, comme à moi, ne vous dit rien, en effet ces musiciens, s’ils jouent du jazz manouche, ne le font pas dans le circuit habituel du jazz, ils ne jouent que pour leur communauté lors des évènements religieux. Un choix qu’ils ont fait alors qu’ils ont largement le niveau pour mener une carrière.
Musicalement tout ce qu’on connait de ce style de musique est là, le tempo réglé par la pompe de la guitare rythmique et le swing de la contrebasse, la virtuosité mélodique que se partagent les deux solistes. La différence est dans le répertoire, des chansons religieuses évoquant Dieu, la souffrance de Jésus, mais pas de standards sinon un morceau de Django. Beaucoup de titres sont ainsi chantés, trois autres chanteurs venant se mêler parfois au quartet. Des amateurs, autodidactes eux-aussi, qui ont appris à chanter en famille, sans professeur, David un pur talent qui pourrait postuler dans les comédies musicales actuelles, Sarah à la voix pure et juste et Kefa, un adolescent de 16 ans qui nous a laissés… sans voix !
La soirée se clôture sur l’hymne des gitans repris par leur assemblée, « Le vêtement blanc ».
Lors des échanges en bord de scène, un des organisateurs de la soirée me confiera que des musiciens et chanteurs comme ça, ils en ont des dizaines, une tradition culturelle bien ancrée. Discutant avec les musiciens, ils me confirment leur choix délibéré d’engager une carrière évangélique plutôt que dans le monde du spectacle, je les sens plein d’humilité et emplis de ferveur spirituelle. La plupart d’entre eux portent d’ailleurs des prénoms bibliques.
Une soirée musicale et de découverte plus qu’intéressante.

















A noter dans cet esprit, l’album de David Reinhardt ( fils de Babik et petit-fils de Django) sorti en 2024.
