Les musiciens en résidence de travail à l’OARA

Le Maxiphone, toujours à l’avant garde de la création, s’est lancé, sous l’impulsion de son directeur Fred Pouget, dans un projet ambitieux autour des oeuvres pour Clavecin de Jean-Philippe Rameau (1683-1764). Ce musicien a été très important à son époque et reste un des plus grands musiciens et théoriciens de la musique français. Le pari était donc risqué de s’attaquer de façon moderne à son oeuvre. Fred Pouget et Daniel Yvinec nous en parlent.

 

Interview : Fred Pouget et Daniel Yvinec parlent du projet « Sauvage »

propos recueillis par Philippe Desmond

Daniel Yvinec et Fred Pouget

Lors de la résidence du projet « Sauvage » Action Jazz a eu l’occasion de rencontrer Fred Pouget directeur artistique et compositeur (voir son portrait dans la Gazette Bleue, lien en fin d’article) et Daniel Yvinec directeur artistique associé du projet. Ce dernier, musicien poly-instrumentiste, a collaboré avec les plus grands artistes et a dirigé l’Orchestre National de Jazz de 2008 à 2013. Il est membre de l’Académie du Jazz et des Victoires du Jazz.

Action Jazz : qui a eu l’idée d’aller chercher Jean-Philippe Rameau ?

Fred Pouget : c’est moi, il s’ennuyait dans son coin alors j’ai dit on va faire quelque chose. J’ai eu l’idée de partir de certaines pièces pour clavecin pour écrire de la musique.

AJ : je ne suis pas du tout un spécialiste de Rameau mais il est vrai que sa Danse des Sauvages possède un rythme marqué qu’on peut adapter de façon moderne

FP : c’est de la musique hyper dansante, hyper mélodique, la gageure c’était tout en respectant l’original de faire ma musique

AJ : oui cette notion de respect de l’original est importante, le milieu de la musique classique est assez strict là-dessus bien que s’ouvrant de plus en plus vers les autres courants. Il ne faut pas choquer les puristes ou on est dans autre chose ?

Daniel Yvinec : à ce stade là c’est mort ! (rires)

Fred Pouget : oh oui c’est mort ! La période d’écriture a pris à peu près deux ans. On a travaillé en relation avec Daniel qui faisait des retours d’écoute de ce que j’écrivais et qui a fait avancer l’écriture grandement. Il a rapidement vu là où ça pouvait aller. Ça a été un exercice d’équilibriste, un jeu de cache-cache entre ma musique et celle de Rameau.

AJ : je n’ai pas encore entendu, le côté jazz est là avec des improvisations ?

FP : il y a des improvisations

DY : il a de la ré-écriture aussi, beaucoup

FP : essentiellement. Il y a des musiciens de jazz mais l’impro n’est pas que dans le jazz ; ainsi certains viennent des musiques traditionnelles ou du classique. J’aime bien fabriquer des orchestres avec un mélange des styles et d’influences ce qui donne des beaux mélanges et des expressions totalement différentes. C’est ça qui m’intéresse dans la fabrication d’un grand orchestre, que tout le monde ne cause pas pareil, un peu comme dans la vie finalement. Les mélanges sont plus intéressants,

AJ : la partition, l’écriture tiennent compte de cette diversité ?

FP : la partition originale est un document de travail qu’on adapte en fonction des gens qui jouent. On dispatche les voix différemment de ce qui avait été écrit parce que ça ne fonctionnait pas. Mes partitions en général ne sont pas gravées dans le marbre , je considère que les gens avec qui on travaille peuvent apporter autant que moi. C’est important que chacun ait voix au chapitre

DY : et puis on apprend à connaître les gens aussi, on voit les talents, plein de choses se révèlent. On s’aperçoit qu’untel chante aussi, alors on lui adapte une partie initialement prévue pour un instrument. On distribue les plages improvisées en fonction de ce qu’on découvre des musiciens. Personnellement je ne connaissais personne !

AJ : justement comment s’est fait le choix des musiciens ?

FP : c’est moi qui l’ai fait , je suis parti du quartet Clax avec qui j’avais joué à Jazz 360, Anne, Guillaume, Gilles et moi-même. Ensuite l’idée était de faire venir des gens avec qui j’avais joué ou que j’avais déjà programmé pour le Festival Du Bleu en Hiver (à Tulle), ou encore des gens dont on m’avait parlé comme Rozann.

AJ : combien êtes-vous ?

FP : dix

AJ : justement c’est compliqué en terme d’organisation de gérer dix musiciens qui ont leur propre carrière

FP : oui c’est un travail de longue haleine, il faut énormément anticiper pour maîtriser le calendrier. On veut éviter les remplacements car il y a un gros travail d’orchestre et qui dit rempla dit répétitions supplémentaires

DY : ça se fabrique aussi avec des gens et les remplas on du mal à faire partie du projet. J’adore les trucs hybrides aussi de par ma curiosité personnelle, par rapport à ce que j’écoute et pour mon expérience avec l’ONJ je n’avais que des gens que je ne connaissais pas, qui venaient de milieux différents, qui ne se connaissaient pas non plus et je retrouve aussi ce côté là dans ce projet. Ce sont des gens qui sont en train de se découvrir mutuellement, il y a des surprises, ils apprennent à faire la place à l’autre, à lui trouver un espace, à croiser des langages. C’est un peu comme un dîner avec des gens qu’on ne connait pas, on peut avoir de super belles surprises mais aussi des mauvaises. Je reviens sur la question de départ sur Rameau. Dans l’ADN de ce projet, comme on ne joue pas le texte verbatim et comme on n’est pas des clavecinistes on est déjà ailleurs. Le texte on le respecte énormément sinon pas la peine de l’avoir choisi mais on essaye de voir ce qu’on peut en faire avec nos imaginaires, nos outils, notre culture et du coup on l’amène ailleurs mais pas pour le salir, mais comme une sorte de palimpseste, on réécrit par dessus par contre il reste la couche d’en dessous. La question « puristes, pas puristes » ne nous concerne pas. Si on est puriste on va écouter Rameau joué par les meilleurs du genre et je n’ai pas de problème avec ça. Les gens qui vont venir nous écouter sont forcément curieux, des gens qui adorent Rameau, d’autres qui s’en foutent complètement, mais des gens qui vont chercher à vivre une expérience différente. Si on regarde l’histoire de la musique classique les choses sont beaucoup moins figées qu’on le prétend. Énormément de partitions de Bach on ne sait même pas pour quel instrument elles ont été écrites. Enormément de choses écrites sont nées d’improvisations, Bach, Chopin… Il y a des choses à remettre en perspective.

AJ : Fred, des nouvelles du label le Maxiphone ?

FP : c’est un label qui n’édite que des disques de formations de sa propre compagnie. Pour l’instant un album est en préparation de Hulk, la formation d’un saxophoniste local.

Le regard de Fred se porte alors sur Guillaume Schmidt présent avec nous au café

Guillaume Schmidt : saxophoniste et psychopathe (rires) . On prépare quelque chose avec Benoît Lugué et Denis Barthe. On doit encore compléter l’enregistrement puis mixer et produire. Ça va être super et en plus je suis en contact avec un jazzman très réputé qui est quasiment d’accord pour venir participer, un trompettiste…

AJ : quand verra-t-on en concert « Sauvage » en dehors de la sortie de résidence à la Méca ?

FP : création le 19 janvier à Tulle lors du festival du Bleu en Hiver, puis le lendemain à Aubusson.

https://lagazettebleuedactionjazz.fr/fred-pouget-vive-voix-du-maxiphone/

 

Sortie de résidence « Sauvage » à la Méca

Une écriture originale à partir de pièces pour clavecin de Jean-Philippe Rameau

Musiciens : Fred Pouget (clarinettes), Guillaume Schmidt (saxophones, effets), Anne Colas (flûtes), Benoît Michaud (vielle à roue), Rozann Bézier (trombone), Maarten Decombel (guitares, machines), Maïlys Maronne (claviers, piano), Janick Martin (accordéon diatonique), Ömer Sarigedik (basses, machines), Adrien Chennebault (batterie, percussions)

 

A l’issue de trois semaines de résidence à la MÉCA* sous l’égide de l’OARA** cette formation de dix musiciennes et musiciens du Maxiphone nous a présenté une partie du fruit de son travail. La création complète aura lieu le 19 janvier à Tulle (19) lors du festival Du Bleu en Hiver.

Mais ce qui nous a été offert a permis de se faire une idée précise de cette création, de son originalité et de sa qualité. La mise en scène, les éclairages ne sont pas encore complètement affinés mais dès le début du concert on sent qu’une atmosphère particulière se crée ; bruitages bucoliques d’une nature qui s’éveille, piallements d’oiseaux, musiciens apparaissant en ombres chinoises, on se sent de suite ailleurs. Ailleurs aussi la musique de Rameau, même plus une adaptation mais une inspiration donnant lieu à une création originale à tous les sens du terme. Musique inclassable, qu’importe.

L’assemblage a priori hétéroclite des instruments trouve très vite une unité, une cohésion remarquables. Douceur, finesse sur le premier mouvement (ne me demandez-pas à quelle œuvre de Rameau il fait référence), du groove, oui du groove, sur le deuxième, batterie, basse, clavier programmé Rhodes donnent cette touche jazz sur laquelle viennent se greffer les vents, la vielle à roue raccordée à un pédalier électro, l’accordéon diatonique. Mélange des sons dans une fluidité extraordinaire, soin des détails avec des arrangements ciselés, rebondissements harmoniques, effets électros légers et élégants, le XVIIIe qui pointe ses mélodies enluminant cette musique qu’on peut qualifier de contemporaine quand on ne sait pas quoi dire. Rameau ne faisait-il pas lui-même de la musique contemporaine de son vivant ?

Une concentration de tous les instants me confieront des musiciens, on le perçoit d’ailleurs sur scène mais aussi avec un réel plaisir de jouer cette musique et d’avoir passé ces trois semaines ensemble, apprenant à se connaître, faisant évoluer le projet au fil des jours. Et ce n’est que le début de l’aventure ! Bravo à toutes et tous pour cette création magistrale dont on attend la suite !

* MÉCA : Maison de l’Économie Créative et de la Culture de la région Nouvelle-Aquitaine

** OARA : Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine