par Philippe Desmond, photos Thierry Dubuc.

La Caillou, Bordeaux le 27 avril 2018.

Si on veut entendre Carole Simon il faut être à l’affût, la chanteuse est rare, trop. Un choix me confiera t-elle, déchirant mais pensé, motivé. Tournant dans sa vie quand elle voit son rêve de chanteuse confronté aux réalités souvent difficiles de jazz singer en France, la routine des standards, les clubs improbables… Carole est une vraie artiste, tellement qu’elle va renoncer avec douleur à l’être – pas complètement, heureusement pour nous – bifurquant vers le fameux vrai métier sur lequel chaque musicien se voit questionné par ceux pour qui la musique n’est pas une chose sérieuse si elle ne sort pas de leur télé ou de leur autoradio… Carole continue quand même à travailler son chant et je peux vous dire que ça s’entend.

TDBL0492-Mod

Hier soir elle a illuminé le Caillou du Jardin Botanique de sa voix, de sa présence et de son charme. Elle avait choisi d’être accompagnée par trois copains que nous connaissons très bien et apprécions également énormément. Au piano Lionel Fortin lui aussi assez rare et Dominique Bonadéi à la basse électrique avec Philippe Valentine à la batterie, les deux compères d’Affinity. Le troisième n’était pas loin mais devant une assiette au lieu d’un clavier, prêt à rentrer en cas de défaillance du pianiste titulaire, mais il n’y a pas eu besoin de coaching et Francis Fontès est resté sur le banc des remplaçants !

L1120430-Mod

Le répertoire choisi par Carole est basé sur un album de des propres compositions enregistré il y a quelques années « Paris Madrid », ornementé de quelques standards. C’en est un qui ouvre le bal « Summer Samba / So Nice » et de suite on entend qu’Elle est bien là, on ressent aussitôt son bonheur de chanter, de scatter, ce qu’elle fait si bien aussi.

TDBL0560-Mod

Carole chante en Anglais bien sûr, comme toutes les chanteuses de jazz, mais surtout elle le fait en Français (son pays) et même en Espagnol (ses origines) et ça c’est un vrai bonheur. Oui c’est possible de ne pas cantonner à la langue d’Ella ou de Billie ! Ses propres paroles écrites dans la langue de… Nougaro qu’elle vénère, sonnent si bien avec ses compositions de jazz, elle fait swinguer les mots, les cale sur les temps, les claque avec punch et justesse. « Soleil dans les Cristaux », « A Montmartre » (ah ces sifflets d’oiseaux !) « Les Papillons », … comprendre des paroles quand en plus elle sont belles et ont un sens c’est aussi une émotion supplémentaire, mes avant bras et le coin de mes yeux peuvent témoigner. Comment des gens du système ont-ils pu laisser passer cette chanteuse au prétexte qu’ils avaient du mal à la faire rentrer dans leurs cases…

TDBL0547-Mod

En Espagnol, alors « Quizàs, quizàs, quizàs » bien sûr, mais aussi sa composition « Yasta » où derrière le trio décolle sur ce thème latino, notamment Lionel Fortin qui a choisi ce soir le son « Fender Rhodes » sur le piano numérique du Caillou. « Je n’aime pas le son piano des instruments numériques » me dit-il, ça tombe bien moi j’adore le son cristallin du FR. « El Mio » émouvant.

TDBL0497-Mod

En Anglais, « So Nice » donc mais aussi « Fever » et une belle bagarre orageuse avec le « tambour » de Philippe Valentine et les grondements de cordes de Dominique Bonadéi. Fièvre que la gestuelle de Carole nous fait monter, sa voix, sa façon de bouger, de vivre les chansons. Je laisse la parole à Fatiha d’Action Jazz, car en ces temps un peu troublés où les rapports entre sexes opposés sont vite sujet à polémique je n’aurais peut-être pas osé dire que Carole Simon est « tellement femme »… Magnifique version de « Bye Bye Blackbird » avec un trio en overdrive sur un arrangement de la version de Rachelle Ferrer. « Je l’ai plagiée » m’avoue t-elle malicieuse ! Faut-il encore pouvoir…

TDBL0567-Mod

Deux compositions de Marc Berthoumieux pour compléter un « récital » époustouflant et « That’s All » logiquement pour terminer ; nous on aurait bien continué toute la nuit…

Je repars avec un viatique de bonheur, partagé entre l’envie d’apprendre à chanter comme ça et celle justement de ne pas apprendre tant le chemin doit être long et difficile – il l’est – pour atteindre cette qualité… Bye bye nightingale.

TDBL0579-Mod