Texte et photos Philippe Desmond.

Quartier Libre, Bordeaux le 29 avril 2018.

En live le plaisir musical nécessite aussi le plaisir visuel et ce soir nous allons être gâtés. Le Eole Brass Band c’est l’occasion de voir de beaux instruments. Tous les instruments sont beaux me direz vous et quelle importance ? Certes mais approcher un trombone basse, celui d’Alix Tucou, avec toute sa tuyauterie enchevêtrée, ses soupapes de décharge, son pavillon surdimensionné c’est assez rare. Admirer un ou une Flumpet, le chaînon manquant entre FLugelhorn (bugle) et trUMPET inventé par le trompettiste Art Farmer et le facteur David Monette ce n’est pas si souvent ; c’est Mickaël Chevalier qui possède ce bijou.

On a plus souvent l’occasion de voir un trombone ténor même si le Conn de Sébastien Iep Arruti est magnifique ou un sousaphone, courant par chez nous dans les fanfares et bandas en passant par les formations New Orleans mais celui de Damien Bachère en est un beau spécimen. Est-ce le brillant du cuivre de ces instruments qui les rend si esthétiques, l’accumulation des coudes cintrés si difficile à bien faire qui attire l’œil ?

Et la batterie de Simon Pourbaix (prononcer Pourbex, il y tient) alors ? Elle aussi à du cuivre avec ses cymbales, notamment une petite très originale percée et munie de cymbalettes ; mais pour attirer l’œil il a trouvé un autre stratagème que vous pouvez voir sur la photo… Lui le perpétuel révolutionnaire, ce qu’il argumente toujours avec précision et ferveur, va d’ailleurs présenter les musiciens comme tous « à sa droite » ce que la disposition sur la scène dément…

DSC05317

Cette longue introduction sur le ressenti visuel étant faite, parlons des sensations sonores. Car il va y en avoir. Mais d’abord d’où sort ce quintet ? Du passé, pas si lointain mais quand même. Environ quatre ans qu’on ne l’avait pas entendu pour la simple raison qu’Alix Tucou est maintenant installé à New York et si nous avons la chance de voir le groupe se reformer c’est à l’occasion de ses vacances en France. Formation basée sur l’interaction nous disent-il – c’est évident à l’écoute – et sur la recherche ; là il y a des progrès à faire car ils ont eu beau chercher ils n’ont pas retrouvé les partitions des années passées notamment les compositions de Mickaël !

Alors comme ça, à l’arrache, sans répétition, juste quelques réglages à table avant le concert au Quartier Libre les voilà partis sur le répertoire de Dave Douglas et de son Brass Ecstasy agrémenté de quelques compos de Iep et de standards NO. Finalement tout ça tombe très bien car ce type de musique nécessite la vie, permet les imprévus, encourage les impros. Et comme les cinq compères ne sont pas des débutants, les réflexes du passé resurgissent très vite.

DSC05319

La sonorité d’un tel groupe est à nulle autre pareille, la rondeur énergique des cuivres déchirée parfois par des riffs enfiévrés et s’appuyant sur une batterie des plus toniques procure une couleur magnifique. Dans le genre on connaît bien sûr aussi le regretté Lester Bowie et son Brass Fantasy (très beau concert au Carré des Jalles dans le milieu des 90’s) et d’ailleurs un titre de Douglas lui rend hommage ; ils vont même y glisser une citation de l’autre Bowie.

DSC05308

Un tel groupe s’appuie sur une rythmique à géométrie variable, batterie et sousaphone toujours, parfois enrichie par le ou les trombones quand la trompette choruse. Mais les trombones jouent très souvent en soliste, Iep bien sûr au ténor, encore plus expert après deux semaines à jouer à New Orleans, mais aussi Alix au basse ce qui est moins courant. Certainement pas facile d’égrainer les notes à travers cette colonne d’air longue et biscornue, à la coulisse « sans frette » ; ça sonne d’enfer, la musique ainsi faite sortant du gros pavillon vous traversant les deux vôtres faisant vibrer jusqu’au ventre votre anatomie. Quelle maîtrise, quelle inventivité.

DSC05352

Le velouté du Flumpet contraste avec ces parfois rugissements des deux coulisses. Des unissons des quatre cuivres surgissent souvent alors que la batterie parfois presque rock de Simon claque fort pour exister derrière ce déferlement de métal. De l’énergie certes mais pas que, de la douceur aussi sur quelques ballades au tempo de valse lente, de la fantaisie sur des airs de carrousel, mais c’est dans les moments de groove et de funk que je les préfère, les attaques, les contre chants, les duels, ça vous traverse des pieds à la tête. Festif, jouissif, frénétique ! Pas mal pour une reprise messieurs, qu’est ce que ça doit être avec du travail de préparation ! Et justement, si ce type de musique c’était ça, la spontanéité, les surprises, la non recherche de la perfection ? Sur scène on sent que ça vit, ça rigole, ça chambre un peu même, la salle s’en amuse, est tolérante, chambre elle aussi. Un très bon moment.

DSC05343

Trois invités sur un « Second Line » avec Andrea et Ludovic à la trompette et Julien Deforges au sax alto ; on a envie de partir déambuler dans le quartier Saint-Michel avec eux ; mais non c’est dimanche soir les Bordelais dorment et le Bordelais est grincheux surtout à partir d’une certaine heure…

DSC05347.JPG

Vous avez raté ça ? Pas de panique allez chez le Pépère jeudi soir (21h30 le 3 mai) en plus il y aura dégustation de vin avec la fameuse Maud Eration, si elle vient !