Par Vince, photos Kiswing

Rocher de Palmer Cenon – 24 octobre 2020

Kyle Eastwood : contrebasse et basse électrique

Andrew McCormack : piano

Chris Higginbottom : batterie

Brandon Allen : saxophone

Quentin Collins : trompette, bugle

Depuis le milieu des années 90, Kyle Eastwood, « le fils de » a su se faire un prénom dans le monde du jazz. Pas si facile dans ce métier et en particulier quand on porte un tel nom. Discret et tenace, Kyle a su tracer son propre chemin au fil du temps, entre son amour pour l’âge d’or du jazz orchestral des années 50, et des projets hybrides électro-jazz sophistiqués.

En 2011, à la tête d’un quintet composé de jeunes musiciens anglais méconnus il commence à écrire une nouvelle page de son histoire avec “Songs from the Château”, enregistré au Château Couronneau en Gironde (classé en Sainte-Foy, Côtes de Bordeaux et Bordeaux Supérieur), à la limite avec Eric Seva’s land (que l’on appelait autrefois, le Lot-et-Garonne). Dès lors il a véritablement trouvé sa voie, en renouant, tant dans la forme que dans l’écriture, avec un jazz plus direct, acoustique et mélodique, unissant la tradition et un style renouvelé.

Enregistrés avec la même équipe de musiciens, les disques suivants, (“The View From Here”, “Timepieces” puis « In Transit »), ont confirmé cette direction esthétique, donnant à entendre une musique spontanée, fondée sur le plaisir du jeu, et la magie de l’interaction collective.

« Le cinéma est ma seconde passion » avoue-t-il dans le livret qui accompagne son dernier CD « Cinematic ». Il le prouve ce samedi soir au Rocher en débutant le concert, pied au plancher, comme un incipit de James Bond, vous savez les 8 premières minutes haletantes et explosives juste avant le générique. Ce n’est peut-être donc pas un hasard si c’est la chanson du film ‘‘Skyfall’’ interprétée par Adèle, qui ouvre cette grande soirée « Monsieur Cinéma ». A fond, sur un tempo revisité jazzy, les chorus de trompette, piano puis saxophone ténor s’enchainent avec une intensité grandissante, démontrant d’emblée le potentiel du quintette ! Cela démarre fort ; ce n’est pas le bon, la brute et le truand, mais plutôt les 4 fantastiques réunis autour de Captain America.

Juste le temps d’applaudir et de réajuster son masque soufflé par tant de puissance, que Kyle, prend le micro et, dans un délicieux accent qui fait craquer, présente en français ses musiciens et le thème de la soirée puis remercie vivement le « courageux » public de sa présence. La salle quasiment pleine du Rocher 650, respectant les distances de rigueur, répond par des applaudissements nourris.

Le thème suivant, du film ‘‘The Eiger Sanction’’, a été écrit par John Williams pour Clint Eastwood dans les années 70. Sur cette mélodie plus calme, Andrew McCormack au piano et Brandon Allen au saxophone se donnent la réplique avant que Kyle prenne son premier chorus de la soirée, sobre, élégant, efficace : le pur ADN eastwoodien, quoi !

Ponctuant chaque fin de morceau par quelques mots et des remerciements, Kyle poursuit la soirée avec une composition personnelle un peu mélancolique ; le thème de ‘‘Gran Torino’’, une écriture à 4 mains Eastwood père et fils.

S’en suit le thème de ‘‘Taxi Driver’’, écrit par Bernard Hermann, (le compositeur favori d’Alfred Hitchcock), dont l’intrigante introduction rappelle les balades de Robert de Niro, la nuit, en taxi dans New-York. Les instruments à l’unisson, la trompette bouchée, les balais frottant les peaux et les cymbales, nous ont transportés dans le mythique Blue Note en quelques mesures à peine.

‘‘Bullit’’, célèbre pour la course-poursuite de Steve McQueen à travers les rues de San Francisco et signé Lalo Schiffrin, arrive au moment où Kyle est bien chaud. L’ostinato de basse sur lequel se balade la mélodie, est enchainé par un solo tout en puissance et en précision, à la hauteur du polar qu’il célèbre.

Délaissant sa contrebasse acoustique raccourcie pour un basse fretless électrique, Kyle Eastwood calme le jeu avec le thème de ‘‘Cinéma Paradiso’’ interprétée en trio tout d’abord, puis rejoint par Brandon Allen au sax soprano. Ses notes ciselées et un son parfait mettent en valeur ce bijou composé par l’inévitable Ennio Morricone.

Inévitable aussi, le grand compositeur de musiques de films, Henry Mancini. Le quintette enchaine avec celle du film Charade, qui mettait en scène Audrey Hepburn et un autre thème… « celui-là, pas la peine de vous le présenter, vous allez le reconnaitre » dit Kyle avant de lancer le saxophone à l’assaut du célébrissime ‘‘Pink Panther Theme’’ (la panthère rose). A son écoute, on se surprend à penser que ce refrain est d’abord une œuvre de jazz raffinée que le groupe s’amuse ici à syncoper astucieusement.

Parfaitement unis, les musiciens donnent une interprétation exigeante transcendée par des arrangements audacieux et laissant libre cours aux improvisations inventives des 5 jazzmen. Kyle Eastwood, par son approche humble et respectueuse de ces musiques connues du grand public, remet au goût du jour des œuvres originales devenues des grands classiques au fil du temps.

Ne se faisant pas prier longtemps pour le bis, le quintette largement, applaudi par un auditoire conquis, revient sur scène interpréter un dernier air. Et, contre toute attente, il s’agit d’un standard d’Horace Silver, ‘‘blowing the blues away’’, que je traduirais par « mettre le spleen à la porte ». Mais quelle belle idée, pile au moment de ce fichu changement d’heure d’octobre et des mesures anti-covid toujours plus coercitives. Un clin d’œil positif à la morosité du moment. Finissant, comme il a entamé le concert, avec une énergie survoltée, déchainant le public par un solo de trompette à couper le souffle (du public mais pas du trompettiste !), le quintette enflamme la salle une dernière fois.

22h20. A la sortie, la table de dédicace est prise d’assaut. La file d’attente s’étire le long du couloir du Rocher. Les vigiles tentent avec bienveillance d’organiser la procession qui refait le concert en attendant de faire signer CD et programmes, d’échanger quelques mots, de faire un selfie, avec l’autre Eastwood, celui dont le père fait du cinéma.

Set list :

  • Skyfall
  • The Eiger Sanction’
  • Gran Torino
  • Taxi Driver
  • Cinéma Paradiso
  • Charade
  • Pink Panther Theme
  • Encore : Blowing the blues away