Par Vince, photos Philippe Blachier

Billet d’humeur (avec un peu d’humour) sur le Festival de Jazz à la Rochelle 2020

Terre de marins, La Rochelle est aussi une terre de jazz où depuis 23 ans, les passionnés de la note bleue donnent des couleurs au pâle mois d’octobre, avec le festival « Jazz entre les 2 tours ». Pour ceux qui ne connaitraient pas la Rochelle, les 2 tours sont celles qui gardent l’entrée du vieux port. Vous aviez remarqué que le jazz, entre les 2 tours des élections municipales 2020… il n’y en avait pas eu beaucoup ! Pas de confusion possible, donc.

Un festival « hors saison », c’est forcément un peu plus court, mais c’est aussi une chance de pouvoir le couvrir (ou le découvrir) intégralement… ou presque.

L’humeur contrariée, par un programme sans carte !

Parti de Bordeaux aussitôt le boulot terminé, Vince votre serviteur reporter, pressé par l’appel de La Sirène (La salle de concert alternative à La Rochelle) en a oublié, jusqu’à l’essentiel. En effet, après une bonne heure de route, je me suis rendu compte que je n’avais pas de carte bancaire. Soit ! Un chéquier devrait faire l’affaire ! Arrivé à La Rochelle… pas de carte routière sur le GPS qui avait décidé de bouder au plus mauvais moment ! Et, alors que je sortais mon Lumix pour immortaliser Vincent Peirani pour les lecteurs de la Gazette… pas de carte SD dans l’appareil photo ! Vous comprenez mieux le titre du premier chapitre, non ?

Mais, me direz-vous, que retenir de cette première soirée du Festival de Jazz à la Rochelle 2020 ? Après avoir loupé la première partie, Moritz, lauréat du tremplin jeunes talents Jazz Connexion,

et un quart d’heure du concert « Trio Jokers » de Peirani, il me reste un goût de trop peu. Voyez plutôt…

Sur scène, la grande carcasse de Vincent Peirani, pieds nus comme à son habitude, enlaçant à son accordéon ; sur ce nouveau projet « Trio Jokers » il accompagné du guitariste italien Federico Casagrande et de Ziv Ravitz à la batterie, originaire d’Israël et que l’on connait bien en France depuis ses collaborations avec Avishai Cohen, Yaron Herman, Shai Maestro ou encore Christophe Panzani.

Le très prolifique Peirani s’offre ici une liberté totale, mêlant les ambiances, les sons et les rythmes sans compromis, si ce n’est celui des émotions pures. D’une berceuse à l’accordina aux reprises plus musclées comme celle de « Dream brother » de Jeff Buckley, les 3 musiciens explorent avec complicité, des terrains sonores non encore défrichés et laisse de la place aux compositions et aux styles propres à chacun. Ce n’est pas un trio de jokers mais bien un brelan d’As (tiens encore une histoire de cartes… décidément !) qui passe du murmure susurré des soufflets de l’accordéon à un déchainement électronique et explosif. De cet instrument totalement ringardisé par les bals musettes de la France de la 4ème république, Vincent Peirani et ses deux complices, parviennent à proposer une musique et des sons d’une incroyable modernité.

Le voyage dans le nord (photos interdites)

Jeudi soir, le festival quitte sa « maison », selon l’expression de Patrick Beyne, membre de l’asso Jazz entre les 2 tours et correspondant d’Action Jazz dans le secteur de la Charente, pour investir, au cœur du centre-ville, la très réputée salle de « La Coursive », scène nationale. Cet ancien couvent reconverti en marché au poisson au 19ème siècle est devenu l’une des plus belles salles de spectacles de la région Nouvelle Aquitaine. La programmation de ce soir est à la hauteur de cette réputation ; un concert en trois sets avec trois formations suédoises, le pianiste Jacob Karlzon, le contrebassiste Lars Danielson et trio Rymden.

Le premier trio (piano et claviers, contrebasse, batterie) plante le décor avec un style assez épuré, des ambiances qui évoquent les grands espaces, où l’acoustique et l’électrique (boite à rythme, effets, synthés) se marient harmonieusement. Plus connu en sideman que comme leader (Billy Cobham, Nils Ladgren, Gino Vanelli entre autres), Karlzon explore les genres musicaux et synthétise ce que le rock, l’électro et le jazz peuvent avoir en commun. Plus que des phrases mélodiques, ce sont des histoires musicales racontées sur fonds d’ambiances sonores et rythmiques. C’est une symbiose réussie que vous pourrez retrouver sur le CD « Open Boards » cher Warner music.

Après un changement de plateau caché par le très théâtral rideau de scène, le contrebassiste Lars Danielson fait son entrée en compagnie du martiniquais Gregory Privat au piano, de Krister Jonsson à la guitare et de Magnus Oström à la batterie, le complice de toujours du regretté pianiste Esbjörn Svensson (E.S.T.). Dès les premières notes, c’est un enchantement total. L’écriture de Lars Danielson est très imprégnée par sa formation classique de violoncelliste, mais son trait parvient toujours à coller aux personnalités avec lesquelles il travaille ou aux ambiances qu’il dépeint. Pour ce qui est du palmarès, vous comprendrez en évoquant ces quelques noms qui est ce Monsieur si discret : You Sun Nah, Jack DeJohnette, Mike Stern, Charles Lloyd… ont joué ses compositions ou enregistré avec lui. Cette discrétion toute nordique est la même sur scène. Leader et compositeur certes, mais Danielsson laisse toute la créativité et la personnalité de ses musiciens s’exprimer. Et cela se révèle être d’une beauté, d’une évidence, d’une harmonie rares. Gregory Privat nous enivre de notes ciselées dans ses chorus, Magnus Oström nous électrise par l’incroyable précision de son jeu, et notamment aux balais, qui font sonner les peaux comme personne. Enfin, le facétieux guitariste Krister Jonsson colore avec sa Gibson, un tableau sonore qui tutoie la perfection. Toute l’assistance (au moins 400 personnes) est envoutée par l’énergie, l’éclat et la magie de ce quartet qui aura égrené une dizaine de titres issus des derniers projets de Lars (Liberetto I, II et III, Sun blowin, Summerwind, Libera me).

Encore un peu sonnés, par cette « bouffe » magistrale, on s’apprête à entendre le trio Rymden. Se présentent sur scène Magnus Oström à la batterie (encore), le contrebassiste Dan Berglund (déjà présent au premier set) et l’énigmatique Bugge Weqqeltoft aux claviers. Autrement dit, la rythmique d’E.S.T avec un extra-terrestre survolté qui, et ce n’est pas un hasard, a intitulé le projet « Space sailors » ! Ces navigateurs de l’espace à La Rochelle, qui en a vu d’autres, des navigateurs…, viennent nous raconter leurs voyages intergalactiques, où les sonorités électriques donnent à penser que l’infiniment grand est assez chaotique. Pour être franc, il valait mieux terminer cette soirée en 3 temps par cet énergique trio, néanmoins, je me suis parfois demandé si les effets synthétiques apportaient une réelle plus-value à l’ambiance musicale. Un peu déçu donc. Mais, je retiendrai de cette excellente soirée, outre le plaisir procuré, celui vécu par les musiciens sur scène, heureux et émerveillés de retrouver un public chaleureux, attentif, passionné, affamé, dévorant chaque note et chaque silence avec gourmandise.

Les chants de la Sirène

Et si les sirènes étaient mâles ? Après tout, on a longtemps devisé sur le sexe des anges, mais qui s’est penché sur celui des sirènes ? Alors, avant que vous ne vous ne pensiez que j’ai abusé du vin de pays charentais, STOP ! Je voulais juste évoquer poétiquement, les sirènes chantantes du vendredi soir, Messieurs Ji Dru et David Linx !

Soirée chanson donc, soirée contrastée aussi. Pour démarrer, l’électro-jazz du flutiste Ji Drû accompagné par la talentueuse chanteuse Sandra NKake et un support rythmique (Mathieu Penot à la batterie et Armel Dupas au Rhodes), nous embarque dans un far west onirique, fait de rencontres pas très rassurantes et de paysages impressionnants, voire hostiles.

La virtuosité de Ji Drû à la flute et la souplesse vocale de Sandra font merveille depuis longtemps ; pour vous en convaincre (ré)écoutez les compos Soul-Funk-RnB du collectif « Push Up » des années 2010-2015. Ici le discours est plus électro et nous embarque assez loin aux frontières du jazz, de la chanson pop, des rythmes aux origines tribales… en bref « Western », c’est un pays sonore imaginé comme autant de petits courts métrages musicaux. On aime ou pas, on rentre dans cet univers ou on se dit, qu’est ce que je peux en penser ? Pour ma part, j’ai voyagé, tout là-bas.

Le temps d’un tour au bar, histoire de pouvoir tomber le masque, au sens propre et de se désaltérer, David Linx fait irruption sur scène avec un trio de luxe ; Grégory Privat au piano (mmmm… encore !), Chris Jennings à la basse et Donald Kontomanou à la batterie, du lourd quoi ! Le plus parisien des chanteurs de jazz belges est de retour sur une terre qu’il affectionne.

A quelques kilomètres d’ici, à Rochefort, l’inimitable M. Linx a enregistré « Skin in the Game » à l’Alhambra Studios, sorti en septembre 2020 chez Cristal Records, partenaire du festival. Avec cet album il fête déjà ses 40 ans de carrière avec les mêmes musiciens et en invité « star », Manu Codjia à la guitare. https://www.cristalrecords.com/albums/david-linx-skin-in-the-game/

 

Ce nouveau projet se rode donc sur scène et propose d’autres choses en live que sur le microsillon. Le style Linx est félin, sans mauvais jeu de mots, il bondit, se tapit sous les notes, passe du pianissimo aux fortissimos avec une élasticité rare. La complicité de Grégory Privat et Chris Jennings donnent une solidité harmonique à l’ensemble et Donald (prénom difficile à porter depuis 2016) métronomise tout l’ensemble avec force et légèreté. En résumé, un chant auquel peu de spectateurs marins-charentais rochelais auront pu résister !

L’after à la Sirène donne toujours l’occasion de se rafraîchir de refaire le concert, (comme on refait le match) et souvent de croiser les artistes. Alors, Monsieur David Linx, demande un spectateur. On dit Linx avec un ‘‘ i ‘’ ou Linx ? « Linx avec un  i ; linx c’est la bête », répond David, qui ajoute « même si parfois je dois être bien bête moi aussi », dans un large sourire (sans masque !). En tout cas, bête de scène, je peux en témoigner !

Vive le Cuba libre (… à consommer sans modération)

Finir un voyage par une note ensoleillée, c’est à la fois la promesse d’un souvenir forcément joyeux, mais aussi un brin nostalgique… tous les vacanciers arrachés à leur bronzette pour retourner au bureau vous le diront ! Cette nostalgie c’est celle d’un dernier soir après une salve de jazzS aussi brillants que bigarrés, un feu d’artifices, dont le dernier tableau est toujours le plus tonitruant.

C’était bien cela ce samedi soir à la Sirène, comble cette fois, et réchauffée par Irving Acao au sax et Carlos Sarduy (trompette et bugle). Ces deux compères, de la « nouvelle génération » cubaine ont essuyé leur culottes courtes sur les bancs du Buena Vista Social Club, mais apportent surtout de la modernité et une ouverture à la folklorique image du jazz cubain. Dans la lignée d’Omar Sosa, ces deux-là sont capables de s’affranchir de la carte postale cubaine, tout en restant fidèles à leurs racines rythmiques, mélodiques et harmoniques. Cela donne une musique plus « savante », raffinée, contrastée, diablement efficace et toujours une chaleur communicative qui ne peut laisser de marbre. La présence de Léo Montana au piano, de Felipe Cabrera à la basse, de Lukmil Perez à la batterie et d’Inor Sotolongo y est aussi pour beaucoup. Tous se connaissent, composent et participent à de nombreux projets latinos et s’amusent vraiment sur scène… mais Patrick Dalmace, le spécialiste, vous en parlera bien mieux que moi dans une autre chronique…

La Rochelle Jazz Festival : Irving Acao et Carlos Sarduy by el Comité