Yves Carbonne : la magie du solo
Texte et photos Philippe Desmond.
Théâtre le Jonchet à Cambes (33), samedi 30 septembre 2023.
Au-delà de son talent de bassiste et de compositeur, Yves Carbonne est connu pour son goût des instruments insolites, des guitares basses en l’occurrence. Car il s’agit bien de guitare, voire au-delà avec lui. S’il utilise toujours une Fender Jazz vintage de 1964 à quatre cordes, il possède une collection de basses dont la plus accastillée en comporte 12, fretless en plus ! Elle est là ce soir, fille d’une guitare qui aurait fauté avec une lyre ou une harpe, un chef d’œuvre du luthier catalan Jerzy Drozd. Ca c’est pour l’aspect esthétique, en fait elle se rapproche davantage du Piano Impérial de Boesendorfer, ayant comme lui une tessiture sur 8 octaves, avec notamment des basses plus basses que les basses !
Dans ce joli petit écrin qu’est le théâtre le Jonchet à Cambes, Yves Carbonne a décidé de proposer un concert en solo. Un bassiste occupant le devant de la scène, quelle inconguité, ces musiciens étant le plus souvent relégués au fond, à côté de leur ampli, la plupart du temps dans l’ombre et assez immobiles !
Le théâtre se garnit tranquillement, avec sa petite jauge de 50 places l’endroit est très agréable avec un accueil personnalisé de Franck et Christine qui ont créé ce lieu de culture dans un ancien chai vinicole. On peut y entendre de la musique donc, de tous styles, assister à des pièces de théâtre ou des stand-up, y rire avec des clowns et même suivre les « conférences gesticulées » de Franck Lepage ; la prochaine, déjà complète, est prévue pour durer 6 heures… Pendant l’installation du public Yves Carbonne accorde ses instruments, plus de trente cordes à régler !
C’est avec la douze cordes qu’il débute le set par « Time » des boucles musicales tirées de l’album « Beyond the Waves ». De suite surgit le son Carbonne, ce jeu aérien que l’écart de tessitures de l’instrument traduit si bien. C’est un son chaud, qui enveloppe, il s’agit de guitare basse mais avec un son qui n’est pas celui de l’instrument classique et des développements mélodiques d’une grande liberté rythmique. Cet instrument est d’ailleurs unique au monde et Yves qui le possède depuis dix ans ne l’a pas entièrement apprivoisé. Il nous dit qu’il préfère en jouer les yeux fermés car quand il les ouvre et qu’il regarde ses doigts il se dit « Mais je suis fou de me mettre autant en difficulté ! ». Mais la prise de risque, la mise en danger c’est aussi ce qu’il aime.
Sur le second titre une surprise nous attend. Marie-Hélène Plassan, danseuse professionnelle et chorégraphe, qui a écouté son dernier album « Tales of the Reconstruction » lui a dans la semaine envoyé un message ; elle souhaitait danser sur sa musique, improviser. Ils ne se connaissaient pas avant ce soir et le miracle se produit. Près de six minutes d’improvisations, musicale et chorégraphique ; magique.
Pendant plus d’une heure Yves Carbonne va nous embarquer dans son univers créatif, jonglant avec les instruments, une basse six cordes, création racée et personnalisée du luthier Christian Noguera, la Fender Jazz Bass avec qui il jouera cette fois en rythmique sur un fond musical enregistré avec ses musiciens, une « Travel Bass » sorte de ukulélé équipé de cordes basses rappelant des sons de mandolines assez baroques. Yves est seul, le répertoire est insolite, on ne s’ennuie pas une seconde, lui non plus changeant sans arrêt son jack de destinataire et jonglant avec les boutons de deux pédaliers très fournis. Ces pédaliers qui lui font travailler les sons et leur donner cette couleur unique.
Ces instruments électriques laissent maintenant la place à une guitare contrebasse acoustique 6 cordes au son profond ; c’est une œuvre d’art du luthier Nico Dayet, avec une caisse surdimensionnée et une esthétique originale. C’est le moment que choisit, sur un titre dans l’esprit de Charlie Haden, Marie-Hélène Plassan pour à nouveau improviser un gracieux ballet, tout en délicatesse et fluidité. Cette rencontre impromptue entre ces deux artistes devrait avoir une suite, le courant est passé, même sur ce morceau acoustique.
On pense à la musique baroque, aux troubadours du Moyen Age, appelons ça du jazz si vous voulez, la liberté est là, les improvisations aussi. Et si c’était tout simplement de la musique, de la belle musique…
Vers la fin arrive « Jef » de l’album « Beyond the Waves », Yves jouant rythmiquement de la Fender alors que Jean-Marie Ecay et Roger Biwandu se font entendre depuis l’ordinateur tout proche.
Un concert inhabituel, sensible, enveloppant, de la grâce à tous les instants, deux improvisations chorégraphiques de haute tenue. Tous les visages ont le sourire et le verre offert à la fin par le maître des lieux ne va pas les effacer, bien au contraire.
Prochain concert d’Yves Carbonne mais avec son groupe :
10 novembre à 20h30 : en septet Le Triton, Paris https://www.letriton.com/programmation/yves-carbonne-guests-2994
30 novembre à 20h30 : en septet le Rocher de Palmer à Cenon https://lerocherdepalmer.fr/artistes/yves.carbonne/
Site Web d’Yves Carbonne : https://www.yvescarbonne.com/
Lien le Jonchet : https://lejonchet.fr/
Liens des luthiers :
https://www.jerzydrozdbasses.com/
http://www.noguera-basses.com/
https://www.lutherie-guitare.fr/
Galerie photos :
.