par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

La Grande Poste, jeudi 14 décembre 2017

Se produire sur scène pour un artiste c’est toujours une part d’inconnu. Le public sera t-il là, sera t-il facile, exigeant, indifférent ? Ce soir la Grande Poste est bien remplie à l’occasion du concert de Sophie Bourgeois et son trio, mais le public est-il venu pour les écouter ? Pas sûr, pas sûr du tout car le lieu est aussi un restaurant et les convives du jour font tous partie de la même entreprise, invités par leur patron pour le repas de fin d’année. Pour les musiciens il va donc falloir s’imposer, se faire entendre. Le présentateur va d’ailleurs insister sur les talents qui sont ce soir sur scène.

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Changement radical pour eux car récemment, avec « la titulaire » Nolwenn Leizour à la contrebasse, ils passaient au Sunset à Paris dans ce haut-lieu du jazz devant un public d’amateurs ; autres conditions.

Le trio est sonorisé car pour remplir de musique ce lieu magnifique mais immense, à l’acoustique complexe, à la résonance encore importante, cela est nécessaire.

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Ce projet de Sophie Bourgeois avait, voilà un an jour pour jour, éclos en public dans l’ambiance feutrée de la boutique Bordeaux Pianos. Certes William Lecomte était ce soir là aux commandes d’un piano de concert remarquable mais Sophie était alors encore toute intimidée, présentant pour la première fois le fruit de son disque « That’s new » ; le Blog Bleu avait relaté cette soirée. Depuis d’autres concerts ont eu lieu comme celui chez Thierry Valette, présent ce soir. Et pour Sophie ça se sent, ça s’entend, ça se voit. Le set composé des titres de l’album merveilleusement réarrangés – même dérangés – par William Lecomte s’est étoffé d’autres morceaux et dure une heure trente désormais.

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Le trio avec un contrebassiste de circonstance ce soir, mais pas n’importe lequel, est bien sûr à la hauteur de notre attente. Ce sont de merveilleux musiciens. Jean-Luc Fabre donc, très concentré sur les partitions qu’il travaille depuis quelques jours a vite saisi l’esprit du trio et s’y impose parfaitement.

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Le discret Samuel Lecomte avec son éternel chapeau vissé sur la tête, tantôt léger, tantôt tonitruant, faisant résonner ses caisses dans cette immensité, va réussir à capter les regards et les oreilles du public assez bavard.

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Quant à William Lecomte il est dommage que ce public justement ne réalise pas à qui il a affaire ; ce travail d’arrangements sur des standards qu’on pourrait croire usés pour certains, ou sur des titres pas forcément destinés au jazz comme « Ces Petits Riens » de Gainsbourg, se rend-il compte de sa qualité ? Ce lyrisme au piano – électrique – le quart de queue maison étant resté en bas de la scène, faute de bras et d’accordeur – cette fantaisie à siffler les mélodies en jouant, le public les capte t-il ? Certains oui, mais si peu.

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Et Sophie dans tout ça ? Ce soir dans sa robe noire très Rive Gauche, elle nous a bluffés, épatés, émerveillés. Elle a scatté comme jamais, avec finesse, profondeur, fantaisie, humour. Tellement à l’aise sur scène, elle a défoncé de ses scats certains titres comme « Mathew » de William Lecomte, et merveilleusement fait passer son émotion dans d’autres, « Mack the Knife » ou « Oblivion ». Là dessus, Thierry Valette, chanteur lui aussi, a une théorie intéressante et juste je crois. Parfaitement en confiance avec sa Rolls de trio derrière et devant un public détaché, pas comme celui parfois qui vous attend au virage ou au contraire est trop bienveillant, il pense qu’elle a lâché prise et enfin laissé sortir tout ce qu’elle avait en elle. Sophie nous le confirmera. Jamais, avec les quelques amis présents, nous ne l’avions vue et entendue ainsi, à ce niveau.

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Le spectacle est même quasiment devenu du music-hall pour le final. Une intro au piano laissant penser à l’arrivée de Tito Puente et de son « Oye Como Va » qui astucieusement débouche sur un arrangement insolite de « La Bicyclette » (Francis Lai, Pierre Barouh), les prénoms des pédaleurs autour de Paulette remplacés par ceux des amis présents, la présentation des musiciens intégrée  aux paroles sur des rimes exactes, réjouissant !

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Et même pas de rappel demandé ! Ah les ingrats ! Honnêtement je pense quand même que certains dans le public (celui-ci de tous âges, entre les jeunes embauchés et les futurs retraités) ont fait ce soir une découverte, peut-être une graine plantée… Quant à nous, les quelques amateurs, nous nous sommes régalés. C’est bien que des lieux tout public comme la Grande Poste mettent en face des gens de la musique de qualité, ça finira peut-être par payer…

Fin de soirée caricaturale, au bar pour les hommes et sur la piste de danse pour les dames au son de musiques tellement moins intéressantes et si banalement rythmées ; nous nous éclipsons, ce n’est plus notre affaire.

Sophie Bourgeois (chant), William Lecomte (piano, sifflements, arrangements, compositions), Samuel Lecomte (batterie), Jean-Luc Fabre (contrebasse)

http://blog.actionjazz.fr/sophie-bourgeois-dans-un-ecrin-de-jazz/

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