Vincent Peirani « JOKERS »

Par Sylvie Delanne, photos Jean-Michel Meyre

Le Rocher de Palmer, samedi 8 avril 2023

JOKERS !

Pour un bon coup réussi le concert s’ouvre sur une plage inattendue !

Sur la musique de River, la scène enfumée et noire tout à coup nous transporte dans l’ univers d’un homme qui cherche, qui marche, qui court puis deux hommes qui marchent, trois hommes qui courent, après… Une lune surdimensionnée sort, il est 7h43, les couloirs du métro, la course, l’avion, le ciel, l’homme est seul, il disparaît, l’homme marche traverse sa vie s’envole dans une lumière aveuglante, réapparaît à Brooklyn, dans les grattes-ciel… Au lunapark les trois potes se retrouvent de la gueule du train fantôme aux palais des glaces disformantes…Nos musiciens cherchent le jeu, l’inspiration, se voient aux nues des miroirs…

C’est sur ce film d’animation d’Alice Thibault et Thibaut Lurois que cette soirée s’ouvre à nous.

Début du concert – Noir – Silence – ouverture de Federico Casagrande – entrée de Vincent Peirani – la batterie Ziv Ravitz se fait légère – musique planante – ambiance bleue- douce mélodie puis léger crescendo – le batteur toujours en finesse – peu à peu les musiciens trouvent leur place, inspirés, ils absorbent la musique, Ziv l’aspire, la boit, décolle avec elle, c’est une nourriture que de le regarder, mes narines palpitent aussi, que cet air est bon…

L’émotion monte, l’accordéon lance des flammes, la guitare souligne puis reprend en solo, la fumée enveloppe les trois anges musiciens…

Electro, pop, jazz, Federico Casagrande nous fait décoller, les trois s’éclatent, Casagrande exhulte, Peirani entre en folie, le batteur en transe – le son, le rythme, la couleur s’insinuent par tous les pores de ma peau et je pars avec eux…

Retour au noir, la guitare égraine, le soir tombe sur une voix off, ligne pure de l’accordéon, des fulgurances du batteur viennent modeler l’image, ambiance sourde feutrée par la grosse caisse, immense Federico dans son octogone de lumière !

Les morceaux se succèdent, des compos personnelles, Les Larmes de Syr, Salsa Fake (V. Peirani) Twilight (F. Casagrande), une reprise Copy of A, très électro sur un fond de percussion enregistrée une sonorité métallique style machine à sous…ça part à fond…c’est énorme, l’accordéon et la batterie se parlent sur les effets électros de la guitare, le rythme monte, hyper rapide et soutenu par le batteur, ça claque, ça joue, la tornade emporte tout .

Une reprise de Jeff Buckley le guitariste qui a beaucoup influencé Vincent Peirani, puis une berceuse italienne Ninna Nanna qui démarre sur une note lointaine qui n’est pas sans rappeler l’harmonica d’Il était une Fois dans l’Ouest, ça envoûte, c’est fin, délicat, ciselé, enfantin , le marchand de sable peut passer, les rêves seront doux… Merci Vincent le tendre…

Une facétieuse ritournelle nous emmène en enfance, le Petit Navire, ohé ohé, Frère Jacques, ding dang dong, Dodo l’enfant do, tout est calme…

Sur le dernier morceau, qui ne sera pas le dernier, c’est entendu avec la salle, Federico danse avec ses mains, pas mal pour un guitariste ! Tel une déesse hindoue au son des clochettes vertes, lumières ambiances night-club, gros son de la guitare, notes distendues, Federico danse sur sa chaise toujours le sourire, s’éclate avec Peirani dans une vitesse folle.

Quelques secondes de repos après les applaudissements nourris de la salle.

Retour sur une composition de Ziv Ravitz, ce batteur new-yorkais qui a choisi de s’installer à Menerbe, petit village du Lubéron…le jour se lève sur Menerbe au son diaphane de l’accordéon, Federico dort ou rêve sur sa guitare, un doux soleil du matin irise la musique, il est 8h, Menerbe s’éveille, les volets claquent, dans la torpeur chaude de la sieste, un chant dans la vallée, c’est calme…ça pétille…tout à coup, joie de l’accord…puis tout redevient calme, s’apaise et s’endort…

Au 3e rappel, accompagné des mailloches et de la guitare, Peirani tutoie le ciel d’où sortent des oiseaux pour notre plus grand bonheur…

Nos amis peuvent sortir, le public est comblé, nourri par ce voyage intense qui lui a fait traverser des ambiances quasi magmaesques, des airs nourris de tendres voluptés et des sons ébouriffants.

Entente parfaite, la souplesse du jeu de Ziv Ravitz s’exprime tellement dans son corps, il danse avec légèreté, aspire, respire, sourit, je suis fascinée par ce musicien tellement subtil au son élastique et nourri, en feeling total avec la finesse des compositions.

Grand Federico Casagrande, guitariste bassiste sur sa seule guitare (2 cordes de basse) pour mieux exprimer la puissance de son jeu mélodique et son amour de la musique, il fait du jazz mais aussi du rock, de la pop, du son imagé, capable de jeux de doigts exeptionnels.

Que dire du grand Vincent Peirani ? le triangle est pour lui ; joueur, facétieux, joyeux, d’une présence incarnée avec le public, tellement simple quand il nous parle, cool, souriant, à l’écoute…Engagé musicalement jusqu’à l’outrance…Inspiré jusqu’au ciel, il part à grande vitesse et revient en fines ciselures. Il fusionne avec son instrument, nous donne une musique du cœur, une musique qui s’emballe, palpite, émeut, il danse, ne fait bientôt plus qu’un avec son accordéon, les jambes jetées vers l’espace. Quelle liberté !

Depuis nos sièges, par le jeu des projecteurs , les silhouettes des trois musiciens se fondent sur une seule ombre projetée , c’est une image très intéressante collée à l’intention musicale.

D’un trio hybride, Jokers a réussi une fusion unique.

Le disque sorti le 25 mars 2022 est à retrouver sur le label ACT

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