Texte et photos Philippe Desmond.

Carte Blanche à Roger Biwandu.

l’Apollo, Bordeaux le 2 mai 2018.

L’Eldorado Convertible 1965 blanche glisse sur la route côtière 36, le long de Sandy Hook Bay. L’énorme V8 ronronne comme un vieux matou assoupi. Le bras accoudé à la portière, dans la douceur fraîche du crépuscule, j’écoute la station WBGO qui diffuse le dernier titre d’un musicien du coin, Newark, enregistré tout récemment en quintet. La chaude mélodie de « Speak no Evil » de Wayne Shorter qui sort de l’autoradio, semble me guider sur cette longue ligne droite, quand soudain un coup de cymbale d’Elvin Jones me ramène à la réalité. Je ne suis pas sur la East Coast mais à l’Apollo, même pas celui de NYC, celui de Bordeaux, dehors il pleut comme d’habitude et ce n’est pas Elvin qui m’a sorti de la torpeur mais Roger Biwandu. Herbie Hancock n’est pas au piano mais son équivalent local Francis Fontès, Freddie Hubbard a pris les traits de Mickaël Chevalier et Ron Carter s’est gracieusement métamorphosé en Nolwenn Leizour. Le maître Wayne n’est pas là non plus pourtant le son du sax ténor de Jean-Christophe Jacques ferait penser le contraire.

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Ces lascars m’ont ainsi embarqué et les autres aussi, dans l’univers de l’immense saxophoniste qui a composé tant de joyaux devenus des hymnes de be bop ou de hard bop. Ce n’est pas la première fois que Roger nous propose son répertoire à cette Carte Blanche et c’est même pour ça que nous sommes venus car on sait d’avance qu’on va se régaler. Ils nous font l’économie d’un voyage dans le temps ou dans le présent, à Newark ou à New York sa voisine, ils jouent comme les vrais, la présence en live en plus pour ceux qui ne connaissent les originaux qu’à travers les disques.

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Magie du quintet avec ses deux soufflants, qui se transforme à l’envi en trio classique, piano, contrebasse, batterie, puis reboucle à cinq.

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Étonnement de ne pas voir le soprano de Jean-Christophe Jacques uniquement son ténor, un superbe Keilwerth finition bronze gravé, le répertoire choisi ne s’y prêtait pas. Mickaël Chevalier a lui choisi son dernier joujou, une Flumpet de chez le facteur américain Monette s’il vous plaît, qui allie à lui seul les qualités du bugle et de la trompette sans en avoir les travers ; de près c’est une merveille de fabrication artisanale.

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Roger Biwandu qui souvent vient ici avec une configuration minimale a ce soir choisi la Sakae* complète, il s’agit en effet de jouer à Elvin, Joe, Tony ou Art ; bien lui en a pris il va nous montrer une fois encore à qui on a affaire. Nolwenn Leizour, quant a elle, a sorti sa « grand mère » qui devrait se souvenir de cette soirée et avoir quelques courbatures tant elle l’a poussée dans ses retranchements. Francis Fontès aurait bien aimé un vrai grand piano comme le sien mais ici c’est soit le piano de concert soit le public, alors un Yamaha électrique fera l’affaire.

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A deux exceptions près ils vont balayer les 60’s de Wayne, les formations avec les Jazz Messengers d’Art Blakey, en « solo » ou avec Miles Davis. Compositeur exceptionnel que Wayne Shorter, certainement plus accessible que John Coltrane car très attaché aux structures mélodiques. Des mélodies qui se prêtent aux développements sans fin comme ils vont nous le montrer ce soir.

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Longtemps que nous n’avions pas entendu Jean-Christophe et on s’aperçoit ainsi qu’il nous manquait et peut-être qu’on lui manquait aussi, tant il est en verve ce soir ; pas facile pourtant dans les habits du patron du jour. Freddie-Lee-Miles Chevalier a dompté son nouvel instrument, lui aussi est en forme malgré une lèvre douloureuse suite à une reprise musicale intense cette semaine. En chorus, en duo d’unissons ou questions réponses ils vont faire chauffer le métal mais aussi le polir avec douceur parfois.

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Quintet flamboyant mais à l’intérieur duquel le trio va plusieurs fois nous enthousiasmer ; juste un exemple, sur « Footprints » avec un arrangement assez récent d’Herbie Hancock ça va atteindre un sommet. Un chorus inouï de Francis Fontès alors que la grosse caisse et la contrebasse se fondent dans une rythmique infernale le titre ayant bien sûr débuté dans un tempo assez mesuré. Incroyable ces passages en trio sous les yeux admiratifs des deux autres.

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A souligner aussi l’osmose entre le piano et la batterie, Roger jouant en même temps les impros de Francis. Ils nous ont fait plaisir, les réactions chaudes de l’assistance en témoignent, ils se sont fait plaisir !

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Pour finir un clin d’œil à Weather Report (rappelons que Roger a fait partie du Zawinul Syndicate…) avec « Palladium » du si bel album « Heavy Weather » et une Nolwenn amusée qui fait son baptême du groupe en remplaçant Jaco mais à la contrebasse !

Dire qu’après un tel concert mes oreilles ont été brisées dans le tram du retour par du rap à l’auto-tune grésillant d’un téléphone à saturation…

Set list :

Black Nile (1964)

Witch Hunt (1965)

Free For All (1964)

Footprints (1966)

Oriental Folk Song (1964)

Pinocchio (1968)

 

Speak No Evil (1965)

Fee Fi Fo Fum (1965)

Angola (1979)

Armageddon (1964)

Black Orpheus (1962)

Palladium (1977)

*Sakae : Marque japonaise à part entière qui a l’origine ne faisait que le très haut de gamme de Yamaha