Saxman sublime les films noirs

par Philippe Desmond

Le Ph’Art à Capbreton, vendredi 10 décembre 2021.

Le festival de jazz de Capbreton est déjà loin, c’était début juillet et ce blog vous en a parlé en détail. Le prochain semble si loin ! C’est pour cela que son organisateur Bernard Labat a eu l’idée de ce concert de transition, une manière de passer à la page suivante. Ce qu’il n’avait pas prévu par contre c’est une météo exécrable, pluie incessante, inondations, routes coupées, trains arrêtés, alerte rouge dans les Landes, de quoi décourager les moins passionnés. Il ne manquait plus que ça à rajouter à la frilosité due au covid et à sa nouvelle offensive hivernale.

Mais Action Jazz était là et comme nous avons bien fait ! Ce spectacle proposé par le quartet de Saxman est en effet d’une grande beauté, musicale et esthétique.

Saxman c’est Shannon Murray, le saxophoniste californien de San Francisco, désormais installé dans la région. Ce soir il est en quartet avec Didier Fréboeuf au piano, Olivier Léani à la batterie et Mathieu Lucas à la guitare basse.

Le propos de ce concert est un hommage aux films noirs américains – et français – des années 40 et 50. Le titre en est d’ailleurs « The stuff that dreams are made of », en Français « Cette chose dont sont faits les rêves » réplique finale du Faucon Maltais dite par Humphrey Bogart dont la silhouette ne va pas tarder à apparaître sur l’écran derrière les musiciens. Pas vraiment un ciné concert, concept revenu en force ces derniers temps, mais un concert illustré où chaque composition originale de Saxman va évoquer, un film, une réplique, une atmosphère appelant ainsi les images à défiler. Et voilà ces personnages en costumes très chics, chapeau sur la tête, cigarette au bec, souvent un verre à la main quand ce n’est pas un revolver, ces visages fermés même lors des scènes de séduction, ces baisers tendus à des héroïnes subjuguées ou soumises. Toute une époque avec ses personnages ambivalents que Shannon a redécouverte et qui a inspiré pour en composer une bande son originale. Pour les amateurs d’étiquettes, certains attribuent à ce saxophoniste celle de « West Coast smooth jazz ». Il est vrai que le son velouté de son sax ténor, son phrasé des plus mélodieux, ses improvisations toujours en rapport avec les thèmes l’en rapprochent sûrement.

Musicalement j’avais découvert le projet musical sur l’album « Double Feature » sorti l’an dernier (voir chronique du 30/11/2020). Saxman y jouait en duo avec le pianiste Didier Fréboeuf, dans une ambiance assez cosy et bien sûr sans les images. Depuis le concept a bien évolué, musicalement en quartet et bien sûr avec les projections d’images et d’extraits de films.

L’apport d’une section rythmique est manifeste donnant plus d’ampleur à la musique, de vie, de relief. Je connaissais le talent d’Olivier Léani pas celui de Mathieu Lucas, les deux, côté cour, sont en parfaite harmonie. Côté jardin le beau piano et un synthé aux commandes desquels Didier Fréboeuf confirme sa grande classe. Au centre se mêlant aux silhouettes illustres de Bogey, Cary Grant, Orson Welles et même Ventura et Gabin, Saxman développe les mélodies qu’il a créées, pas du tout marquées années 40 ou 50, bien plus modernes et pourtant parfaitement en osmose avec les images. Saxman se voit parfois entouré de la beauté de Lauren Bacall, d’Ingrid Bergman ou Mary Astor. L’effet visuel est magnifique, et avec la musique on se fait vraiment embarquer dans ces atmosphères noires, parfois inquiétantes, quelque fois glamour. La réalisation est parfaite grâce à un cinquième homme qui cordonne le tout, Alex Chadoin.

Un spectacle qui ravira autant les amateurs de jazz que le grand public qui pourra y trouver une porte d’entrée originale. Quant à moi ce coup de cœur ça m’a donné envie de revoir, « le Faucon Maltais », « Casablanca », « le Grand Sommeil »… ou « Touchez pas au grisbi » ! Le double effet Saxman.