Hallucinant Tigran Hamasyan au Rocher

Par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Rocher de Palmer, vendredi 28 janvier 2022

Un concert de Tigran Hamasyan, particulièrement sur le répertoire du dernier album « The Call Within » est une expérience unique. Tigran vous fait passer par toutes les émotions. A lui seul le premier titre « Elevation 21 » résume le concert, une alternance de passages poétiques au piano, la voix telle une délicate plainte fredonnant le thème, à des fulgurances rythmiques d’une énergie explosive. Cette alternance des climats ne permet jamais de s’installer, on est toujours sur le qui-vive, dans l’attente du tourbillon ou du retour au calme.

Tigran est ce soir en trio avec Marc Karapetian à la basse 6 cordes et Arthur Hnatek à la batterie, deux redoutables combattants tout comme lui ; car souvent il s’agit de cela, un combat, le piano s’en souviendra certainement longtemps. Percutant sur des ostinatos obsédants, délicat sur les mélodies, Tigran impose un style très personnel fait de virtuosité et d’intense énergie. Le trio nous embarque souvent très loin avec violence ou douceur, la guerre puis la paix, la tempête puis le calme. L’art de cultiver les contraires, la délicate mélodie pianotée et sifflotée interrompue par un déluge rythmique nerveux. Tout cela avec un « simple » trio réinventant totalement le genre. Une musique volcanique qu’on sent inspirée de folklore oriental, l’Arménie natale et son histoire souvent chaotique.

Quel son, quelle émotion et quelle puissance qui vous traversent ! Les « intermèdes » poétiques se font rares, la musique se fait parfois tragique, dramatique voire pesante, il se passe quelque chose. On sent, sous l’effet répétitif de la musique, une certaine transe monter, les cris du public en fin de morceaux sont libérateurs.

Le public justement – plus de 300 personnes – inhabituel pour ce qu’on peut qualifier de concert de jazz, des jeunes surtout. « Je pensais en les voyant dans le hall qu’il y avait un autre concert » me dit Philippe Marzat notre photographe. Quel plaisir pour nous de les voir rallier ainsi grâce à de tels artistes, cet univers musical si riche et varié qui fait encore peur à certains. Pas mal de musiciens présents aussi, venus voir ce qu’il faut quand même appeler un phénomène. Un Tigran pourtant apparemment assez timide et introverti, s’adressant très peu au public et lui tournant le dos tout le long du concert. Quelques remerciements tout de même mais pas de présentation de ses deux acolytes, on le sent dans son monde, arc-bouté sur le clavier, surtout la partie gauche en mode majeur, et finissant pas exploser de son siège avec des soubresauts désarticulés.

Ses deux complices justement en totale osmose avec leur leader : Mark Karapetian en double emploi que lui permet sa six cordes, basse profonde et guitare solo parfois, Arthur Hnatek la plupart du temps à l’unisson avec Tigran, puissant et fin à la fois ; un pied droit omniprésent sur la pédale de grosse caisse. Au service d’un tel pianiste il faut avoir de la ressource, ils en ont.

Deux rappels seront nécessaires pour calmer tout le monde. Un concert hallucinant !

Galerie de photos par Philippe Marzat : un grand bravo à lui qui n’a eu que le temps de trois titres pour fixer ces magnifiques clichés. Et encore il a dû négocier avec la production de l’artiste (merci à Dalinda de la com du Rocher) n’ayant obtenu l’accréditation que sur le premier morceau à l’origine ! Les vicissitudes des photographes de concert de l’interdiction (Melanie de Biasio), à la relégation au neuvième rang (Madeleine Peyroux), ou au fond de la salle (l’Auditorium), à seulement les trois premiers morceaux (très souvent) ou aux trois derniers (Tinariwen, sans savoir quand la série commence !) ou encore au rappel seul. Le public ne se gênant pas, lui, pour photographier ou filmer à qui mieux au smartphone (sauf à Marciac où les surveillants sont très vigilants).

Tigran Hamasyan – Levitation 21 (Official Video) :