Roland Kirk revit au Café du Sport
avec Fred Couderc, Thomas Bercy, Olivier Gatto, Philippe Gaubert
par Philippe Desmond, photos Solange Lemoine, Alain Pelletier (Tamkka Photographies) et PhD
Voilà bientôt 5 ans qu’Action Jazz n’était pas revenu un dimanche après-midi au Café du Sport d’Uzeste. Dans nos colonnes nous avions relaté pas mal de concert en ce lieu sympathique, un café-tabac-épicerie-partage, l’autre spot musical avec l’Estaminet de la cité papale du Sud-Gironde. Après une période marquée par la pandémie, Thomas Bercy a retrouvé ses marques ici chez Betty et Marie-Jo que j’ai retrouvées avec plaisir. Finir un week-end là-bas est un moment délicieux et musicalement toujours de grande qualité. Public varié de tous âges, familial avec de jeunes enfants, public connaisseur de jazz ou pas et une ambiance détendue, simple, aux bons parfums de café et de crêpes. Le concert avait encore lieu dedans, on est en hiver, mais au printemps on se retrouvera avec bonheur sous la tonnelle.
Thomas Bercy avec son batteur actuel Philippe Gaubert qui anime avec lui les soirées au Code 23 de Bordeaux a invité Olivier Gatto à la contrebasse et Fred Couderc aux saxophones, aux flûtes et autres objets plus ou moins insolites dans lesquels on souffle. Le répertoire est taillé sur mesure pour et par le saxophoniste, celui de Roland Kirk auquel il a déjà rendu hommage dans l’album Kirkophonie en 2007.
Roland Kirk, aveugle dès sa petite enfance, avait un jour révé qu’il jouait de plusieurs saxophones à la fois. Il a suivi ce rêve et s’est lancé dans cette drôle d’aventure, choisissant avec soin les instruments les plus propices. Fred Couderc est collectionneur et c’est avec les mêmes saxophones d’époque que Kirk qu’il joue, notamment le Manzello, un alto quasi droit tirant parfois vers le soprano et le Stritch qui ressemble à un long soprano mais proche de l’alto ; le sien est de 1926, fabriqué à seulement 200 exemplaires.
Si Kirk était en effet une attraction allant jusqu’à jouer de trois instruments simultanément, on oublie que c’était aussi un compositeur d’une musique plus qu’intéressante, puisant ses sources dans le gospel et le blues avec un flot très vocal. Il était reconnaissable immédiatement, surtout quand il soufflait sur plusieurs anches à la fois, dans des harmonies et des résonances caractéristiques.
Dès le premier titre le quartet nous fait entrer dans l’univers de Roland Kirk, Fred mêlant austitôt Manzello et ténor pour deux blues puis « Black Diamond ». Passant instantanément d’un instrument à l’autre, il se fait ainsi les questions et les réponses, mêlant les tonalités. Deux saxophonistes pour le prix d’un et quand il y souffle simultanément (il n’en prendra jamais trois ce soir, trop dur pour souffler, trop exigeant et douloureux pour les lèvres et aussi très lourd me dira-t-il !) il propose des harmonies inédites et des résonances surprenantes. Tout cela restant de la musique bien sûr, soutenue par une rythmique de très haut niveau, Thomas et Olivier eux-aussi, proposant des chorus inspirés. Une musique intense et dense à forte base rythmique ce qui n’est pas pour déplaire à Philippe qui peut ainsi – et ici – se lâcher.
Kirk était flûtiste, ça tombe bien Fred Couderc aussi. Voilà un des morceaux de bravoure du répertoire jazz de la flûte, la légendaire « Serenade to a cuckoo » dont Fred se fait un malin plaisir de faire deviner au public non averti de quel oiseau il s’agit. En intro le voilà qui, un à un, sort d’un sac des appeaux, ces instruments d’appel des volatiles, que les chasseurs de cette campagne reculée connaissent bien ; je revois encore ceux de mon père. Dommage que nous ne soyons pas en plein air, il aurait posé un vol de grives, un autre de canards ou encore de palombes et attiré quelque chouette ou hibou. Pince-sans-rire, mimant après chaque appeau l’insatisfaction, il arrive après une dizaine d’essais au bon oiseau, le coucou bien sûr. Kirk les collectionnait (les pendules pas les oiseaux) nous raconte-t’il et c’était un joyeux bazar quand tous sonnaient plus ou moins en même temps. Voilà enfin le thème qui sort de la flûte, cette jolie fantaisie musicale qui met en exergue différentes techniques de l’instrument. Un régal.
« My Delight » et toujours ces harmonies insolites des deux sax, le Stritch et le Manzello si je ne me trompe pas et un petit coup d’une sorte de mini pavillon en guise de fin de chorus, une autre signature de Kirk. Ceux qui ne le connaissaient pas découvrent surtout un saxophoniste incroyable, volubile et fluide, que la profession s’arrache d’ailleurs, du jazz à la variété de qualité. Quelle chance ont les élèves du Conservatoire de Région à Bordeaux d’avoir un tel professeur ! Et quelle chance avons-nous de le voir ainsi que ses trois compères avec cette proximité, cette ambiance sans façon qui règne ici ; élististe le jazz ? Snob ? Tu parles !
Nous ne sommes pas au bout de nos découvertes, Fred nous sort une corne de bouc transformée en instrument à perces, à l’origine taillée par les bergers corses et nommée Pivana. Et c’est ainsi qu’on va entendre « chanter » Henri, le bouc de la vallée de Luchon à qui appartenait cette protubérance, sur le délicieux thème de bossa nova « O Grande Amor » ; une douce sonorité et une justesse remarquable pour cet instrument si primaire et insolite que seuls deux facteurs savent créer, dont le corse qui a customisé Henri. Trio en accompagnement tout en délicatesse sur ce titre si beau.
Allez encore un instrument vintage insolite, un slide-sax de 1927 à la sonorité amusante je trouve et qui n’a pas pris dans le milieu musical touché par la crise de 29,
Du jazz, des découvertes, des crêpes, des amis, de la bonne humeur, une belle fin d’après-midi, vraiment.
Galerie d’instruments (PhD)
Bonus…
Il n’est pas si tard, alors, en rentrant à la grande ville, un tour au Molly Malone’s où le quartet de Jean-Luc Fabre joue ses propres compositions. Autre ambiance, celle d’un pub irlandais et là-aussi pas mal d’amis amateurs du lieu et de jazz et sur la scène autour du compositeur contrebassiste, le guitariste Pascal Ségala, le pianiste Serge Moulinier et le batteur Gaëtan Diaz. Ils nous avaient joué ce répertoire lors du festival Jazz 360 en juin dernier. En voici le lien :
https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/jean-luc-fabre-quartet-couleurs-du-temps-qui-passe/
Allez, il faut rentrer maintenant, le week-end est fini…