Jean-Luc Fabre quartet « Couleurs du temps qui passe »

par Philippe Desmond

Au Festival Jazz 360 le 10 juin 2023.

Récemment dans la Gazette Bleue nous avons relaté de nombreux concerts du Festival Jazz 360 (1). L’un d’entre eux m’a tellement emballé, parfois même bouleversé que j’avais envie de revenir plus longuement sur lui, celui du quartet de Jean-Luc Fabre.

Jean-Luc Fabre, un garçon discret, peut-être trop, est connu comme contrebassiste, pas assez « utilisé » à mon avis et au sien aussi ! Mais c’est aussi un remarquable compositeur, connaissant parfaitement la musique et son écriture. Il compose depuis longtemps, 33 ans exactement et ce soir à Camblanes dans le cadre du festival donc, il nous propose ce concert « Couleurs du temps qui passe » qui balaye ses créations. Ce temps qui passe et qu’il partage entre la musique et l’amour des paysages, des montagnes d’Aspe et d’Ossau qu’il parcourt dès qu’il le peut, où il peut réfléchir à la vie, à sa vie, loin des contraintes de notre monde un peu trop tourmenté. Nous avons déjà cet amour des Pyrénées en commun.

Il aura mis du temps à se décider de montrer au public ce dont il est capable et tout ce qu’on souhaite c’est que ces belles musiques se diffusent. Pas trop décidé à en faire un album, nous avons à l’issue d’un concert remarquable, insisté pour qu’il se lance ; je le sens sur la ligne de crête, en « Déséquilibre » comme ce titre joué ce soir, à nous de le faire basculer du bon côté.

C’est donc en quartet qu’il s’avance ce soir entouré de Pascal Ségala à la guitare, Serge Moulinier au clavier (nous aurions tant aimé que ce fût un vrai piano…) et Gaëtan Diaz à la batterie. Ils sont en ligne sur la scène, juste légèrement décalés pour se voir, chacun aura la même importance.

Les titres seront à chaque fois mis dans leur contexte par Jean-Luc Fabre, une éclipse vue en montagne après l’effort pour passer au dessus des nuages de la vallée, les montagnes et leur beauté donc, la solitude, la lassitude de jouer des musiques pauvres parfois pour vivre, la venue de l’inspiration, les attentats maheureusement avec « Foolish Time ». Autant d’interventions pleines de finesse, d’humour et d’émotion ; il se confie presque à nous, c’est rare.

Musicalement les titres sont toujours construits sur des mélodies simples donc belles aurais-je envie de dire et les mises en harmonies les transcendent. On entend du bop, du blues, souvent, de la valse, tout est fluide harmonieux, les improvisations défilent naturelles, inspirées. La guitare de Pascal « Pat » Ségala si elle reste souvent proche de son maître à la chevelure ébourrifée, ou d’un certain John, un autre de ses mentors au crâne maintenant dégarni comme lui, est pleine de touches personnelles, avec une chaude présence , des citations – Milestone qui surgit – , des soutiens rythmiques quand Serge Moulinier prend la main. Dopé ce soir notre pianiste ? On le croirait, ses doigts font couler la musique, il régale ; bon sang un vrai piano et on décolle ! Le rôle de la batterie dans ces musiques pleines de finesse est particulier, elle doit se faire présente et légère, marquer les accents sans élever la voix, mais Gaëtan sait le faire, il sait tout faire, son solo tout en énergie retenue à la fin nous le confirmera. La contrebasse aux mains de Jean-Luc n’est plus cantonnée à l’arrière, elle préside comme chez Avishaï, Kyle et c’est tant mieux. En parfait équilibre mélodique et rythmique Jean-Luc Fabre en donne le meilleur, son visage fermé traduisant son immense concentration.

Je citerai des titres qui m’ont marqué, « Courants Ascendants » ceux sur lesquels les aigles, les gypaètes et les vautours surfent au-dessus des montagnes, une mélodie joyeuse, légère bien sûr, aérienne évidemment. Le blues hyper lent « Déséquilibre » et la sublime « Solitude hivernale » une ballade qui je l’avoue me tirera des larmes et je ne serai pas le seul. « Déconnexion » et ses dissonnances audacieuses, voulues. « Avant de partir » anti-hommage à des musiciens qui l’ont lassé avec leurs seulement 3 ou 4 accords. A l’issue du concert il nous confiera que son écriture reste souvent complexe justement, utilisant des accords particuliers mais là où est la prouesse c’est qu’il en ressort une musique fluide, harmonieuse, accessible.

Pas une faiblesse dans ce concert de pas loin de deux heures et à chaque fin de morceaux des regards qui s’échangent entre nous traduisant notre bonheur d’être là. J’exagère ? Même pas, des concerts on en voit beaucoup et ça ne se passe pas souvent ainsi.

Organisateurs de concerts, de festivals, sortez des sentiers battus, suivez ceux de Jazz 360, donnez un auditoire à ce quartet et à sa musique. En plus, pour les faire venir c’est presque cadeau en attendant que la notoriété ne s’en mêle !

(1) https://lagazettebleuedactionjazz.fr/festival-jazz-360-2/

Page You Tube : https://www.youtube.com/@jean-lucfabre581/featured

Galerie photos et vidéo

Vidéo : Fauguerolles 23/0//2022 ; Jean-Luc Fabre (cb), Pascal Ségala (g), Camélia Ben Naceur (kb), Pascal Legrand (dr)