par Philippe Desmond, photos Alain Pelletier.

Le Cube, Villenave d’Ornon jeudi 22 novembre 2018.

Kyle Eastwood : contrebasse, basse électrique

Brandon Allen : Sax ténor et soprano

Quentin Collins : Trompette, bugle

Andrew McCormack : piano (un Steinway de concert)

Chris Higginbottom : batterie

Bonne nouvelle, un nouveau lieu programme du jazz dans la Métropole bordelaise, le Cube à Villenave d’Ornon. Superbe salle de 540 places complète ce soir pour accueillir le quintet de Kyle Eastwood. Belle tête d’affiche pour ce concert inaugural. Le 25 mai Electro Deluxe devrait lui aussi jouer sold out. Merci à la municipalité et aux services culturels de ces choix, à des tarifs très attractifs en plus, et pour la gentillesse de leur accueil.

Kyle commence à être un habitué de la région, en mars 2017 au Rocher de Palmer avec les mêmes sidemen mais sur un autre répertoire, puis l’été suivant à Saint-Emilion avec Jean-Luc Ponty et Bireli Lagrène et voici un mois à l’Olympia… d’Arcachon toujours avec ce quintet. Amateur de vin il aime venir par chez nous.

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Ce soir il est venu proposer son dernier projet objet de l’album « In Transit ». Peu de têtes connues dans la nombreuse assistance, ça veut dire qu’en plus du public de proximité voire local, il en existe un pour le jazz quand celui-ci propose des noms célèbres. De tels concerts sont un excellent passeport pour lui donner envie de s’aventurer au delà du star system, notre région regorgeant d’excellents musiciens.

Le jazz de Kyle Eastwood n’est pas d’avant-garde, il le revendique, il se fait visiblement plaisir de revisiter quelques uns de ses compositeurs favoris des 60’s comme Monk, Basie ou Mingus, mais pas seulement. Quelle version magistrale du titre de ce dernier, « Boogie Stop Shuffle » ! Après une intro intimiste en solo de Kyle, aux commandes de sa contrebasse en mini-jupe – plus facile à transporter m’avait-il dit au Rocher – le quintet tout à coup démarre le thème en sonnant comme un big band.

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Kyle et sa mini contrebasse lors des balances

Passage en trio sur un tempo de malade , le piano aux mains du remarquable Andrew McCormack, s’emballant pour suivre la rythmique au galop. Retour au thème final avec des unissons impeccables intercalés de mesures de clavier rafraîchissantes. Quel souffle !

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Andrew McCormack

Mais avant ce titre final ou presque, un rappel s’imposant, Kyle a pu nous montrer l’étendue de son talent et de son – ses – univers. Il y a longtemps que celui-ci n’est plus regardé dans le milieu comme « le fils de », il s’est fait un prénom grâce à son talent et son travail. S’il a remplacé Stanley Clarke dans le trio évoqué au début ce n’est pas par hasard, Jean-Luc Ponty nous l’avait confié lors de son interview à Action Jazz à Saint Emilion. Il a un jeu très varié et rond à la contrebasse, capable d’y tenir des tempos effrayants – il se soufflera plusieurs fois sur ses longs doigts vers la fin – il peut aussi la caresser ou la faire vibrer délicatement de son archet. Mais Kyle est aussi excellent bassiste dans un style plus fusion, voire funk.

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Kyle Eastwood

Et il compose, de jolies choses en plus, cosignées d’Andrew McCormack principalement. Le cool « Jarreau », un hommage à Al, ou « Rockin’ Ronnie » un hard bop convaincant en référence au légendaire club londonien.

 

La qualité d’un leader se jugeant aussi par celle de ses sidemen, nous voilà définitivement convaincus. Les deux soufflants Quentin Collins et Brandon Allen remplacent à eux seuls une section de cuivres, chacun se mettant en valeur lors de chorus engagés.

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Quentin Collins

Le pianiste on l’a dit est très présent, tantôt léger tantôt volubile et puissant (il a une autre qualité c’est d’être excellent vendeur de CD, retardant la photo de groupe à la fin des dédicaces, occupé à poursuivre ses ventes sous les sarcasmes amusés de ses collègues, bien contents quand même).

Chris Higginbottom respire le batteur de jazz, nuancé, agile, discret ou bruyant, le pied droit vif sur la pédale de grosse caisse.

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Chris Higginbottom

Mais ce qui est le plus remarquable est la qualité de l’ensemble qui tourne parfaitement rond, mais pas en rond.

Avec un nom comme le sien le cinéma n’est jamais bien loin de Kyle Eastwood, il a d’ailleurs composé des musiques de film. Là il rend hommage à Ennio et Andrea Morricone avec le love theme de « Cinema Paradiso » , accords profonds de basse électriques sur lesquels piano et soprano chantent la mélodie mélancolique.

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Brandon Allen

Seule infidélité au dernier album le titre « Marrakech », une longue suite très dépaysante et travaillée,  que le quintet nous avait déjà jouée au Rocher. Climats marocains bien restitués, les cordes rustiques évoquées grâce à l’archet frappé sur celles de la contrebasse, les charmeurs de serpents de la place Jemaa el Fna rappelés par le soprano, les percussions des Gnawas suggérées par Chris… Une transe qui monte puis s’apaise. Magnifique et tellement différent du reste et c’est là l’habileté de Kyle, attraper le public avec du « real jazz » pour le conduire ailleurs , en confiance. La grande classe.

Celui qui sort d’un tel concert en disant qu’il n’aime pas le jazz est soit sourd, soit irrécupérable.

Bientôt une petite interview que Kyle Eastwood nous a accordée à la fin des balances.

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