par Philippe Desmond

La Belle Lurette, Saint-Macaire (33) le 30 avril 2022

P… trois ans ! Et oui la dernière célébration de l’International Jazz Day datait du 30 avril 2019. Entre temps une fausse note venue d’ailleurs s’est invitée dans les partitions, apparemment toujours présente mais devenu quasi inaudible. La Belle Lurette n’a jamais aussi bien porté son nom et c’est une grande joie pour tous de s’y retrouver enfin autour du jazz et de son chef d’orchestre Thomas Bercy. Il nous a fait peur notre ami pianiste, qui ressemble de plus à son collègue Thelonious Monk, ayant un (long) temps fermé le clavier de son piano et n’étant pas sûr de le rouvrir un jour. Mais le revoilà, heureux et plein d’énergie.

Pour cette résurrection tant attendue, il s’est entouré de valeurs très sûres et d’un nouveau venu dans la région. Ce dernier c’est Chuchi Garcia, un jeune contrebassiste espagnol particulièrement efficace. On retrouve avec plaisir la fougueuse Monique Thomas qui va encore nous en mettre plein les oreilles ; on croit la connaître par cœur et à chaque fois elle nous épate ! Enfin, celui qui devait participer au Jazz Day 2020 et qui lui découvre le lieu, Guillaume Nouaux le batteur que le milieu du jazz dit classique s’arrache. Les quatre n’ont jamais joué ensemble, ça tombe bien c’est du jazz, ça va s’organiser sur le moment avec la liste que Monique a définie juste avant le concert, autour d’un verre sur la terrasse en écoutant la première partie de la soirée.

En plein air donc, le Big Band Saint-Macaire de l’école de musique Ardilla dirigé par le trompettiste Bruno Bielsa ce soir à la batterie ! Le nouveau directeur d’Ardilla on le connait bien, il n’est autre que Jonathan Hédeline le contrebassiste très investi dans ce territoire du Sud Gironde ; aussi très préoccupé par le sort de ses collègues de la rive d’en face à Langon avec la fermeture scandaleuse de l’école de musique de la Communauté de Communes (1). Ardilla a un statut différent et cette association pleine d’initiatives arrive ainsi à mener sa route. C’est seulement la deuxième sortie du Big Band qui est encore en manque de saxophones – avis aux amateurs – mais qui tourne déjà bien rond. Du jazz au funk, ces musiciens de toutes générations devraient vite faire parler d’eux dans nos contrées. Une belle entrée en matière à l’apéritif.

Pause repas, la Belle Lurette est aussi un bon restaurant, pour se retrouver à 22 heures avec le quartet à l’intérieur ; enfin pour ceux qui ont pu entrer tant le public a répondu présent !

On l’a dit, concert quasi improvisé, alors dans ces cas-là soit au joue free en impro totale soit on joue des standards. C’est cette option qui est choisie, c’est une soirée de fête personne n’est venu là pour du sport cérébral ! Et les standards ne sont après tout qu’un prétexte, un fond de sauce sur lequel on peut revisiter les recettes. Ils ne vont pas s’en priver sous l’autorité discrète de Monique Thomas qui d’un geste pilote ses musiciens pendant qu’elle même vit, incarne même, les chansons. Comment en plein milieu de « Cheek to Cheek » elle les lance pour quelques mesures en mambo ! Pleine d’humour dans ses interventions avec le public, elle lui fait passer des frissons par les nuances de sa voix qui peut être aussi douce que gutturale. Thomas Bercy l’accompagne mais très souvent part de son côté pour les improvisations dont il a le secret. Des orages de piano souvent ! Assis juste à côté je vois ce dernier bouger, vibrer, trembler, son pédalier prendre de violent coups de pied. Thomas a retrouvé toute sa verve et son engagement, nous voilà rassurés. Je découvre Chuchi Garcia, une précision rythmique d’une rectitude parfaite et un son mat et profond à la fois, boisé sans ferraillage. Impeccable. Quant à Guillaume Nouaux il n’est pas venu seul, il est accompagné de sa grande classe, perché très haut sur son tabouret, dominant ainsi ses fûts et cymbales. Discret quand il le faut, virevoltant quand c’est nécessaire il va nous offrir quelques solos toujours dans le droit fil du morceau même quand ils ont l’air de s’en éloigner, remarquable. La Belle Lurette est en joie, on a presque oublié cette sale période de disette.

Jazz, donc jam en suivant, voilà Bruno Bielsa cette fois avec sa trompette qui rejoint le quartet, Ella et Louis sont réunis sur scène ! Il a un son incroyable. On demande un sax pour jouer à Stan Getz sur « Samba de una nota » , c’est Raphaël Gaubert tout timide qui s’y colle, il hésite et se lâche ! Voila maintenant Philippe Gaubert, le père, qui remplace Guillaume ; un peu perdu avec la position haute de celui-ci et ses baguettes fines il va vite s’adapter. Un autre batteur lui succède avant le retour du quartet originel qui conclu la soirée avec devinez quoi, « Caravan » le titre qui concluait les jams mensuelles de la Belle Lurette avant la pandémie. Le temps s’est compressé tout à coup, le pire s’est effacé. Il est plus de une heure du matin, Guillaume Nouaux doit repasser chez lui à Capbreton avant de repartir jouer pour midi trente au Bass Festival de Limoux dans l’Aude ! Un 1er mai, qui dira après ça que musicien n’est pas un dur métier ?

Célébration du Jazz Day certes un peu réduite par rapport aux années passées, mais célébration quand-même, de la musique, des retrouvailles, de l’amitié, de la vie. Et vivement le retour de la jam mensuelle maintenant !

 

(1) https://www.change.org/p/pour-le-maintien-de-l-%C3%A9cole-de-musique-du-sud-gironde