par Philippe Desmond, photos Christine Sardaine et PhD

Rocher de Palmer, samedi 7 mai 2022.

Le pianiste Paul Lay fait partie de cette nouvelle génération de musiciens ouverte à toutes les musiques. Il mène actuellement un projet solo autour de Beethoven initié par les Folles Journées de Nantes. Ce même festival lui avait passé une commande en 2018 à l’occasion du 100ème anniversaire de ce qu’on considère comme le premier concert de jazz en France, à Nantes, celui de l’orchestre militaire américain de James Reese Europe le bien nommé. C’est cette création baptisée « Deep Rivers » qu’il est venu présenter au Rocher de Palmer en trio avec Simon Tailleu à la contrebasse et Cynthia Abraham au chant ; elle remplace Isabelle Soerling présente dans l’album studio. Ainsi Paul Lay (prononcer « l’ail ») a-t-il eu l’idée de se pencher sur l’histoire musicale américaine, celle aussi d’avant que le jazz ne naisse. Héritage des folklores irlandais et de nombreuses autres influences, elle a été fortement marquée par des crises, la guerre de Sécession, puis celle de 14-18 et l’engagement américain salutaire en 1917.

Le pianiste a donc fait des recherches loin des standards habituels que les jazzmen malaxent à volonté. Ce sont avant tout des chansons aux paroles souvent émouvantes qui ont été réarrangées par ses soins. Ce soir donc c’est Cynthia Abraham qui va les interpréter, les incarner. C’est pour moi et pour pas mal d’autres une découverte que cette jeune chanteuse qui s’est pourtant déjà produite à Bordeaux avec le collectif Déluge mais dans un spectacle solo totalement différent de son rôle du soir. Disons-le tout de suite, elle nous a éblouis. Pureté de timbre, délicatesse, diction parfaite mais aussi puissance quand il le faut, elle dessine les notes de ses fines mains, totalement habitée. Gracieuse aussi, nous offrant son sourire en contrepoint des drames qu’elle vient de chanter.

Nostalgie des soldats au front si loin de chez eux, Simon Tailleu alternant gémissements et grondements de sa contrebasse, Paul Lay plaquant les accords intrépides dont il a le secret. Si touchante « Sylvia » sur un tempo lentissime et profond avant une joute terrible autour du célèbre « Mapel Leaf Rag » de Scott Joplin, les prémices du jazz en 1900 ; arrangement, dérangement, explosion, cabossage de la mélodie, Simon fessant sa contrebasse et Paul violentant son piano, réjouissant. Encore beaucoup d’émotion autour d’un poème de Sorley Charles mis en musique par Paul Lay, « To Germany » un chant de paix datant de 1917 avant « Deep River » puis le légendaire « Battle hymn of the Republic »

Glory glory hallelujah

Glory glory hallelujah

Glory glory hallelujah

His truth is marching on

Voix gospel sur ce titre pour la sublime Cynthia qui ensuite nous fera revivre Nina Simone à travers un de ses hymnes « Ain’t got no, I got life ». Deux rappels seront nécessaires pour clore ce magnifique concert de cordes, horizontales avec Paul, verticales avec Simon et vocales avec Cynthia.

Ce « Deep Rivers » est vraiment un projet original, intime et virtuose, émouvant et parfois gai, comme la vie avec ses drames et ses bonheurs.

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