Par Philippe Desmond, photos Alain Pelletier.

Comptoir Ephémère, jeudi 1er mars 2018.

C’est vrai qu’après une semaine à se geler et avec cette foutue pluie déjà revenue il faut ce soir avoir envie de sortir de chez soi mais tout de même, comment se priver du soleil de la musique de Jerez Texas ! Nous n’étions pas nombreux à profiter de leurs rayons de musique venus du sud de l’Espagne, quel dommage pour eux mais surtout pour tous les absents.

Est-ce la composition insolite du trio qui a elle aussi refroidi le public ? Pas un trio de jazz car ni piano ni contrebasse, pas un trio flamenco car une seule guitare. La guitare, une flamenca pure race, aux mains de Ricardo Esteve, un cajon sous les fesses de Jesús Gimeno lui servant de tabouret pour jouer de la batterie et, surprise, un violoncelle, celui de Matthieu Saglio. Deux Espagnols et un Français qui depuis 15 ans jouent ensemble et parcourent le monde entier grâce notamment à l’équivalent de l’Alliance Française en Espagne. Des tournées en Asie, aux USA en Amérique Latine devant un nombreux public, de grands festivals  devant des milliers de personnes et ce soir une petite vingtaine de Bordelais pour les accueillir… Heureusement, le propre des musiciens, les bons, les vrais, c’est qu’ils jouent aussi bien et aussi sincèrement quelle que soit la taille de l’auditoire et là la proximité avec eux a peut-être même rajouté de l’émotion.

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La musique jouée est de celles qui embarrassent les colleurs d’étiquettes, pas vraiment du flamenco, pas vraiment du jazz – ce qui ne veut d’ailleurs rien dire –  peut-être du jazz-flamenco ou l’inverse… Et si c’était tout simplement de la musique universelle, capable de toucher les oreilles averties bien sûr mais surtout les autres. Une musique qui ne peut que vous embarquer avec elle, vers le soleil, la Méditerranée et même parfois l’Afrique. Un douce chaleur enrobée de rythme. Personnellement j’ai un peu de mal avec le pur flamenco comme avec le Fino de Jérez, je trouve ça un peu sec ; il me faut pour l’apprécier baigner dans la moiteur au fin fond de l’Andalousie par une chaude soirée d’été.

Ce soir au Comptoir Éphémère, loin de tout cela il s’agit d’autre chose. L’Espagne est là bien sûr mais l’apport rythmique de la batterie alliée au cajon, magistralement utilisés par Jesús et sa gueule de gitan andalou, burinée par le soleil, nous rapproche de notre culture jazz plus « classique ».

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Le flamenco c’est Ricardo qui nous l’amène du bout de ses doigts, de ses ongles – médiator connait pas – une main droite magique et si belle à voir virevolter. Finesse, puissance soudaine, percussions sur la caisse, c’est un plaisir à entendre et à regarder. Plaisir, ce mot suffirait à lui seul à résumer le concert.

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L’insolite c’est le violoncelle, instrument inhabituel en dehors de la musique classique et pourtant. Matthieu est double ce soir, voire triple, moitié violoniste, moitié contrebassiste et moitié violoncelliste donc. Jouant alternativement en pinçant et frottant les cordes, en rythmique ou en soliste, il enrichit d’une façon éclatante le son du trio, à se demander pourquoi cet instrument n’est pas plus souvent utilisé.

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Trois remarquables musiciens ne font pas forcément un bon trio, ici c’est l’osmose totale. Un groupe uni depuis 15 ans ça s’entend et ça se voit aussi. Des breaks impeccables, des rendez-vous pile poil, quelques palmas, que tout cela a l’air simple. Et ils chantent aussi parfois. Musique facile à écouter, à faire certainement pas, elle est élégante et racée, pleine de duende, c’est de l’or ciselé.

Côté compositions ce sont leurs propres titres qui dominent, souvent le fruit d’une anecdote de leur vie, une escale forcée à Paris, une rencontre avec un vieil Américain en Espagne qui tous les jours que fait l’année se baigne dans la mer, une traversée – rêvée – des USA à cheval… Une belle variation autour du « Birdland » de Joe Zawinul : au début ça ressemble pas, après un peu, nous avertit Ricardo. Pour finir « Color Café » de notre Gainsbourg national disparu il y a déjà 27 ans jour pour jour au moment ou j’écris ces lignes et un titre de Baden Powell en rappel.

Maigre public debout, complètement sous le charme de ce trio inclassable et de ce splendide concert.

Dehors il pleut de plus belle mais chacun repart avec son morceau de soleil dans la tête.

Le groupe est en tournée en France tout le mois de mars : http://www.jereztexas.com

Pour une réelle idée du concert écouter le live « Clar de Lluna » sorti en 2017

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