Guillaume de Chassy à Vino Voce : l’âme des poètes
par Philippe Desmond, photos de Laurent Robert.
Festival Vino Voce, Saint-Emilion, samedi 7 septembre 2024.
Le jazz peut tout se permettre, le jazz n’est d’ailleurs pas une musique, c’est pour moi une façon de jouer de la musique, de créer de la musique avec toute la liberté que l’on se donne. En voilà encore une preuve ce soir. Qui pouvait imaginer qu’une bluette susurrée par Danièle Darrieux en 1946, qu’une rengaine de Francis Lopez chantée par Suzy Delair un an plus tard se retrouvent au programme d’un concert de jazz ? C’est le parti pris choisi par le pianiste Guillaume de Chassy sur les propositions de répertoire de la chanteuse Elise Caron, un concert quasi exclusivement consacré à des chansons françaises des années 30 et 40. Sceptique au début, me confie Guillaume, il s’est laissé embarquer par ces musiques qu’il entendait…chez son grand-père. Mais le pianiste, déjà grand amateur des musiques de Trenet (écoutez son remarquable album « Trenet en passant » , lien en fin d’article vers la chronique) et aussi musicien tout terrain, du jazz au classique et à la chanson, n’a pas eu se faire violence pour adapter ce programme insolite.
Le concert organisé dans le cadre du très beau festival Vino Voce qui met en valeur la voix sous toutes ses formes, débute par un « Si toi aussi tu m’abandonnes » , chanson du film « Le train sifflera trois fois », à l’époque chantée pompeusement par John William vedette des plateaux télé d’alors, reprise avec une grande douceur par Elise Caron.
Le ton est donné, le concert sera intime, acoustique, l’émotion y sera présente tout le long. Le choix des titres tourne autour de l’éternel thème de l’amour mais plutôt des amours déçues, des ruptures, des désillusions. Curieusement le concert ne va pourtant pas être triste ni plombé, tout cela grâce à l’humour et à la dérision de Guillaume de Chassy. Pourtant « Adieu Chérie » , les tragiques « Actualités » chantées par Montand, le mélancolique « Je suis seule ce soir » , le nostalgique « Bal chez Temporel » de Patachou, même le légendaire et déchirant « Besame mucho » auraient de quoi nous donner… le blues !
Musicalement tout se passe avec délicatesse avec le toucher sensible et lumineux de Guillaume de Chassy, le son chaud de la contrebasse d’Arnault Cuisinier, rythmique et mélodique, l’accompagnement minimaliste et les chorus discrets de Thomas Savy aux clarinettes pour ne pas écraser la voix claire et nuancée d’Elise Caron collant parfaitement au style de ces chansons d’époques. Heure exquise qui nous grise lentement, la promesse, la caresse du moment pourrions nous chanter comme la Veuve Joyeuse.
Au milieu de ces chansons d’amour déçues, viendront se glisser le vivifiant « Vesoul » de Brel et deux joyaux musicaux du Fou Chantant : « Coin de Rue » habilement torturé par le piano rejoint par des fantaisies improvisées de clarinette – du jazz on vous dit – et « L’âme des Poètes » passant du tendre au rageur sous les doigts subtiles de Guillaume.
Une douce après-midi conclue avec des rencontres très amicales avec les musiciens autour d’un verre de Clos des Cordeliers, notre hôte du jour. Merci Nadine Vasseur de Vino Voce de nous offrir de tels moments.
Album « Trenet en passant »
Galerie photos de Laurent Robert