par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat

Le dimanche 20 février prochain, un musicien va s’enfermer avec un big band de jazz dans le Rocher de Palmer pour une résidence comme on dit maintenant, une répétition en somme, en vue d’un concert qui aura lieu le mercredi suivant, le 23. Ce musicien toujours aussi dynamique et passionné c’est Jean Courtioux, un jeune homme de plus de 90 ans.

Il a réuni près de 22 excellents musiciens de la région pour jouer ses compositions en hommage au be bop et plus particulièrement Dizzy Gillespie un de ses créateurs. Déjà en 1983 il avait créé le Jazz Forum Big Band avec des musiciens alors tout jeunes dont certains seront encore là cette année et en 2011 le Bordeaux Big Band avait enregistré ses oeuvres sur l’album Burdigala Blue avec une forte couleur latino.

 

Jean Courtioux c’est le livre d’Histoire et d’histoires du jazz à Bordeaux et ailleurs, retrouvez ci-dessous l’interview qu’il nous avait accordée dans la Gazette Bleue en décembre 2018.

La première partie du concert sera assurée par le Jazz Vibes quartet, avec Patrice Guillon (vibraphone), Jacques Ballue (piano), Aurélien Gody (contrebasse) et Jean-Patrick Allant (batterie) avant que trois d’entre eux ne rejoignent aussi le big band.

Réservez vos places ! A 10 € seulement pour ce grand moment de jazz c’est cadeau.

Réservation :  https://lerocherdepalmer.fr/artistes/jean.courtioux/

 

Personnel du Big Band : 

Trompettes : Bruno Bielsa, Sébastien Brebbia, Pascal Drapeau, Mathieu Tarot, Franck Vogler

Cors d’harmonie : Julien Blanc, Pierre Yves Le Masne

Trombones : Rozann Bézier, Sébastien Arruti, Olivier Miqueu, Nicolas Benedetti

Contre-Tuba: Jérôme Lallemand

Saxophones : Bertrand Tessier, Fabien Chouraki, Julien Deforges, Valentin Foulon, Cyril Dumeaux

Piano, Synthé : Jacques Ballue,

Vibraphone, Patrice Guillon,

Basse : Timo Metzemakers,

Batterie, Percussions : Jean-Patrick Allant,  Philippe Valentine.

Chef, compositeur, arrangeur : Jean Courtioux

 

Jean Courtioux : le feu sacré

par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

On ne sort pas indemne d’un entretien avec Jean Courtioux tant il a de choses à raconter dont certaines en off, désolé pour vous… Entretien n’est peut-être d’ailleurs pas le mot car difficile d’en placer une avec lui !

Chapeau sur la tête, de sa démarche de jeune homme il nous rejoint devant la brasserie où nous avons rendez-vous. Oui, précisons que ce monsieur a fêté ses 87 ans, la veille précisément. Musicien éclectique, professeur de musique, créateur de la classe de jazz au Conservatoire de Bordeaux nous avions envie qu’il nous parle de tout cela.

Pas le temps de poser une question qu’il a déjà démarré sur l’élitisme chez les musiciens, classiques surtout, mais qui n’épargne pas les jazzmen, à Paris bien sûr mais qu’il a retrouvé en arrivant à Bordeaux. C’était en 1955 recruté à 24 ans comme timbalier à l’orchestre philharmonique du Grand Théâtre (futur ONBA) et professeur en classe de percussions au Conservatoire Municipal (l’actuel Conservatoire Jacques Thibaud).

Jean Courtioux : Très important le rôle du timbalier en musique classique, dans Wagner, Beethoven on n’arrête pas ! Dans la musique romantique et contemporaine, pareil, il y a du travail.

En 1975 le Conservatoire devenant régional mais sous tutelle de l’Etat, à l’initiative d’André Malraux et Marcel Landowski, il doit passer le CAPES pour garder son poste.

JC :  J’avais 16 heures de cours hebdomadaires, j’écrivais beaucoup de compositions pour la radio et la télévision, et j’avais un big band pour lequel je composais. Ça me prenait beaucoup de temps alors j’ai quitté l’orchestre, à l’époque dirigée par Roberto Benzi. Je m’en suis d’ailleurs très bien porté car il était insupportable. Une anecdote, j’en ai tellement. Comme j’étais aussi pianiste, Benzi me demande si ça m’irait de jouer la partie de piano de « la Création du Monde » de Darius Milhaud, inspirée d’ailleurs par le jazz. Je l’ai donc joué assez souvent avec lui et à chaque fois il me reprenait :

– Les croches vous ne les mettez pas en place Jean, une croche égale une croche .

– Mais Maître, en jazz une croche n’égale pas une croche, il y a toujours une croche plus longue que l’autre.

– Oui mais alors c’est un triolet ! 

– Mais non, c’est entre les deux.

Il n’a jamais compris ça, il n’a jamais rien compris au jazz d’ailleurs, il n’aimait pas ça, et il n’a jamais compris qu’on puisse swinguer. Donc je me suis dit que je ne ferais jamais rien avec ce bonhomme et je suis parti sans regret.

Jean Courtioux avait découvert le jazz très jeune grâce à son père chef de l’orchestre du Casino de Paris qui en jouait beaucoup, et qui est ensuite parti à Lausanne avec des tournées aux USA après la Libération. Il ramenait des disques de là-bas : Louis Armstrong, Duke Ellington, Lionel Hampton.

JC : Ah le big band de Lionel Hampton, un musicien extraordinaire. Les arrangements étaient fantastiques, ça n’a pas vieilli d’un poil, comme celui de Dizzy Gillespie alors que ceux d’Ellington oui . Il y avait une espèce de prétention chez Duke qui lui a fait faire des erreurs des choses un peu soit mielleuses soit pompeuses. En 1947 à Paris, j’ai vu le big band de Gillespie à l’Alhambra. Il était venu avec le titre d’Ambassadeur Officiel du Jazz, pour une tournée des capitales européennes, Berlin compris ! Il était merveilleux, brillant, intelligent avec une grande sensibilité. Et là je me suis dit c’est ça le jazz ? En 1956 au même Alhambra j’ai vu Stan Kenton, j’avais connu son registre à Paris dans un orchestre de danse pour lequel j’étais arrangeur et qui jouait surtout du Cubain et du Brésilien. Mes premières armes de pianiste à Paris c’était dans un orchestre de musique brésilienne avec des Brésiliens. Ca m’a beaucoup forgé l’esprit dans le melting pot du jazz, les références autres qu’africaines, Cuba, les Caraïbes, les enfants du jazz. Dans mon big band j’ai eu d’ailleurs un Cubain, Guillermo Fellowe, en première trompette et ça déménageait quand il montait dans les aigus ! Il embarquait tout le monde avec lui, les sax, les trombones. On m’en parle encore en évoquant les émissions au Studio 4 de la radio à Bordeaux où nous faisions un concert par mois. Des concerts payés par l’ORTF.

AJ : combien étiez-vous dans le big band ?

JC : entre 19 au début et 26 musiciens à la fin avec 2 cors, un tuba et 4 percussionnistes, c’était un drôle de truc !

Jean Courtioux nous confie alors qu’il n’a pas de nostalgie de ces époques passées, surtout celle de l’Occupation, où la vie était dure avec ses restrictions, pour lui entre 8 et 14 ans. Il évoque la seule brioche qu’il ait mangée en 5 ans, offerte par le curé à chacun des communiants en 1943. Mais chaque époque a pour lui ses difficultés .

JC : Tout ne se passe plus autour de nous comme avant, la mondialisation est passée par là, les compétitions sont rudes. Pour en revenir au jazz, ne serait-ce que pour avoir un nom sur une affiche et devenir une vedette c’est de plus en plus difficile. Il y a des très bon jazzmen en France, rien à dire mais aussi ailleurs, comme en Allemagne qui a les meilleurs big bands d’Europe peut-être même du monde, les Américains viennent enregistrer avec eux.

AJ : tiens, pourquoi ?

JC : parce qu’ils travaillent ! Et oui ils ne font que ça, ils sont payés à l’année, ils appartiennent à des radios régionales. Ils jouent souvent et répètent tous les jours, ils n’ont pas besoin de courir le cacheton. A Bruxelles idem, le big band est organisé, étatisé en fait. Nous en avons, l’ONJ par exemple, il y a beaucoup de choses à dire dessus, d’abord parce qu’il y a de très très bons musiciens, de temps en temps c’est remarquable, parfois fois c’est d’une telle prétention, avec un type de musique complètement abscons, alors que le jazz c’est fait pour être compris selon moi. On peut faire du jazz moderne en big band comme le fait Bob Mintzer, ce n’est pas dérangeant, on adhère. Bien sûr il y a aussi une autre façon d’apprécier le jazz, c’est d’apprendre, le feeling c’est bien mais pas toujours suffisant, il faut aussi de la culture pour aller plus loin. Quand on est chargé d’instruire c’est quelque chose de valorisant et passionnant de transmettre ça. Je donne encore des cours à l’Université du Temps Libre, nous avons 800 adhérents qui viennent parce qu’ils ne connaissent pas la musique, son histoire. Ils découvrent aussi bien Bach, que Schoenberg ou Brel et Ferré dont ils ne connaissaient que très peu d’œuvres ! Bach le plus grand musicien de l’histoire de la musique, tout vient de Bach ! Même Chopin le disait. Il fait lui aussi parti des humanités pour un pianiste, si on n’a pas travaillé du Bach et du Chopin on n’est pas un pianiste. Keith Jarrett a enregistré les Variations Goldberg et sur un clavecin en plus. Le public dit « mais ça n’a rien à voir ! » mais si, c’est de la musique, Jarrett a travaillé deux ans sur ce projet. La musique ça passe aussi par la culture.

AJ : que faut-il faire alors, l’apprendre à l’école mieux que ce qui est fait maintenant ? Tout le monde ne peut pas aller dans les conservatoires.

JC : il y a de plus en plus de monde dans les conservatoires et il y en a partout, ceux de Talence, Mérignac, La Teste avec Pierre Ballue sont excellents.

AJ : oui mais le tri est fait déjà, et l’école a déjà plein de missions, on parle même d’y enseigner le code de la route

JC : l’école est faite pour enseigner mais les paramètres spécialisés, la peinture, l’architecture, la musique nécessitent davantage de temps, ce qui est déjà fait c’est « l’écume des jours ». Ca ne peut être que de la sensibilisation, une entrée pour aller plus loin et ce qui est fait actuellement par l’Éducation Nationale en ce sens est insuffisant. L’Art est pourtant une valeur essentielle de la vie humaine et un tapis culturel est nécessaire pour découvrir des peintures plus complexes ou des musiques de Boulez, Stockhausen… Certes il faut des musiques universelles, comme Bach, Beethoven ou des peintures comme Botticelli qui touchent l’âme de façon spontanée mais il faut aussi des peintres comme Goya ou Picasso qui montent de « vilaines choses ». Le beau et le vilain vivent sur le même arbre ! C’est l’émotion qui doit primer. Et c’est ce qui manque un peu. Je suis très cartésien et rationnel mais le tout rationnel n’est pas bon, il faut de l’émotion de temps en temps. Mais je trouve que les gens, surtout les jeunes ne sont plus justement que dans l’émotion immédiate, faisant table rase du rationalisme, ils passent à côté de bonheurs, de joies. Bonheur de faire aussi, d’agir. Le jour où on ne fait plus rien c’est l’antichambre de la mort, terminé !

AJ : donc toi tu es tranquille de ce point de vue !

JC : mais je ne le fais pas par calcul, c’est ma nature, je suis un combattant, un passionné.

AJ : revenons justement au Conservatoire de Paris où tu as appris.

JC : j’ai eu des professeurs extraordinaires là-bas. C’est un joyau qui a vu officier Fauré, Dukas, Ravel, Debussy, Messiaen. C’est quelque chose de considérable avec son école moderne de la musique française qui est assez ignorée. Seuls les partisans de l’orchestre inter contemporain créé par Pierre Boulez considèrent que c’est un bijou, si il vient ici il n’y aura personne et c’est dommage de se priver d’un tel élément de satisfaction, dire « j’ai écouté quelque chose aujourd’hui qui m’a grandi, qui m’a même peut être réveillé » . Réveillé ou éveillé. Je fais un peu mon Bernard Lubat.

AJ : tu l’as eu comme élève ?

JC : je l’ai eu à 13 ans, il est resté avec moi 4 ans dans la classe de percussions. Son père Alban avec son accent landais et avec qui je m’entendais très bien me demandait (il prend l’accent) « Vous croyez que mon fils il est assez fort pour aller à Paris ? »  Mais oui Alban. « Il pourrait travailler au Conservatoire il est au niveau ?  » Mais oui c’est un très bon musicien ! J’avais connu Bernard dans un orchestre de bal où je jouais du piano, lui à la batterie !

AJ : tu faisais du bal en même temps que le Conservatoire et l’Orchestre de Bordeaux ?!

JC : oui, j’ai commencé comme ça à la salle Wagram à Paris où je faisais danser les bonniches du XVIe. Et donc avec Bernard on avait deux relations différentes, au bal et à l’école mais à force on est devenu copains comme cochons. Le seul regret que j’ai c’est que Bernard Lubat qui eut pu être le meilleur jazzman français, c’est incontestable, se soit retourné vers le militantisme un peu jusqu’au-boutiste, refusant le système pour créer le sien. C’est très altruiste mais peu trop extrême pour moi. Mais il est passionnant, il se met derrière n’importe quel instrument, il prend un verre d’eau il fait de la musique avec. Il a invité Martial Solal, c’était des joutes, chacun en rajoutait au bout d’un moment la musique disparaît, ça devient de l’exhibitionnisme et ça me dérange, je ne trouve pas ça sincère. Et qu’est ce qui est plus sincère que le jazz ? Rien. Dans un chorus on se mouille ! Miles a dit si dans un chorus on est content de 8 mesures, c’est pas beaucoup 8 mesures, alors on peut aller se coucher. Et quand on écoute les grands chorus d’Herbie Hancock, c’est pour moi l’admiration la plus complète, le meilleur jazzman de notre époque, il a tout, le swing, cette espèce de rapidité, ces réflexes du jeu pianistique. Je l’ai vu jouer x fois, avec son fameux trio , Tony Williams et Ron Carter, et le plus beau disque de Miles Davis pour moi c’est « Four and more » en quintet et en public. Encore maintenant ça me fout la chair de poule. Comment ils ont osé faire un truc comme ça ! Comment ils ne se sont pas cassés la gueule ! Comment ils arrivent à se rattraper ! Ce disque il faut l’avoir c’est la quintessence de la musique de jazz ! Pour moi le jazz moderne a commencé avec « Birth of the Cool », c’est la Bible. Et « Kind of Blue », s’adjoindre un musicien comme Bill Evans surtout pour Miles qui ne jurait que par lui-même. C’est l’une des colonnes du temple, pas de doute. La dernière fois que je l’ai vu jouer c’était dans les arènes de Nice, j’étais perché sur un olivier, la seule place que j’avais trouvée. Il était très malade et son manager que je connaissais m’a dit que chaque fois qu’il s ‘éclipsait de la scène c’était pour une piqûre de morphine.

AJ : revenons à la création de la classe jazz au Conservatoire.

JC : avant cela à l’intérieur de Sigma – j’ai dirigé le département Sigma Jazz Focus de 75 à 85 – on avait monté des ateliers de jazz, les batteurs Pascal Legrand et Philippe Valentine notamment sont passés par là. Et le directeur du Conservatoire m’a dit, ce que vous faites là-bas vous pourriez bien le faire ici. Et on a commencé en 1977 ; j’avais eu mon CAPES de percussions en 1975. Quand le Certificat d’Aptitude de jazz a été créé en 87 j’étais un peu gêné d’enseigner sans lui, alors je suis allé à Paris passer le concours. C’était en deux parties en deux ans, la première il fallait prouver qu’on était musicien mais comme j’avais un prix de Paris en harmonies et un autre en percussions, j’ai été admissible sans difficulté. Mais j’ai dû attendre l’année suivante tout de même pour la seconde partie. J’y suis allé j’ai fait ce qu’on me demandait, compositions, arrangements, et à l’entretien final le directeur de la Musique, président du jury qui me connaissait bien car une de mes œuvres concertantes de percussion avait été choisie pour le CA de percussions, m’a dit « mais qu’est ce que tu viens faire là ? Tu es à Bordeaux avec ta classe de jazz t’as rien à faire ici » En effet quand on est déjà dans la maison il y a un concours interne pour la seconde partie et j’avais déjà obtenu le CA Jazz par élévation de grade sans le savoir, même mon directeur de Bordeaux n’était pas au courant ! Donc la classe de jazz est devenue officielle en 1988 ; je l’ai gardée jusqu’en 1992 année de ma retraite.

AJ : dans cette classe de jazz est ce qu’on ne forme pas plus de musiciens « qu’il n’en faut » ?

JC : c’est toujours comme ça, on ne peut pas savoir si on va faire trop ou pas assez. En plus cette classe a fait des petits dans les conservatoires alentour. Les professeurs y ont un diplôme d’État mais pas un CA. Mais il est vrai qu’après 10 ans de conservatoire même avec un premier prix qu’est ce qu’on va faire ? Alors on passe des concours pour pouvoir enseigner. On sort d’une école où on a passé des concours très difficiles mais les débouchés sont limités. J’exagère peut-être un peu mais on est un des seuls pays au monde où la notion d’artiste musicien est défavorable. Tu dis je suis musicien. Ah bon et qu’est ce que vous faites comme métier ? Même mon père m’avait dit tu ne feras jamais de la musique, c’est un métier de crève la faim.

AJ : il en vivait bien pourtant

JC : oui et ma mère était chanteuse d’opérette, ma sœur danseuse, mon grand père était lui aussi musicien compositeur et a gagné beaucoup d’argent. Donc je faisais du piano à 7 ou 8 ans quand mon père n’était pas là. Quand il a compris et vu que j’aimais ça il a changé d’avis et m’a trouvé un excellent professeur. Il me faisait même les transcriptions des musiques que j’avais composé à l’oreille « c’est pas mal cette petite valse, je vais te l’écrire ». Alors j’ai appris comme ça et à 15 ans j’écrivais de la musique. J’ai passé l’examen pour entrer à la SACEM , un thème à harmoniser ; maintenant on n’a même plus besoin de prouver qu’on est musicien !

AJ : et tu es devenu musicien

JC : oui, le jour en studio, au Conservatoire et la nuit dans les boîtes. Mon oncle a dit a mon père, à ce rythme dans dix ans il est mort. Alors je me suis engagé dans l’armée, mais pas pour aller tuer des Vietcongs, c’était en 51 pendant la guerre d’Indochine. J’étais à la caserne Clignancourt à Paris dans la musique du 3ème régiment d’infanterie coloniale. Je n’ai pas fait un jour de classe, jamais tenu un fusil, ce qui fait que je ne pouvais pas partir au combat.

AJ : pourquoi cet engagement ?

JC : pour survivre, nourri, logé, et paradoxalement ne pas aller à la guerre. Beaucoup de musiciens ont fait comme moi à cette époque, en devançant l’appel. Moi ça m’a permis de finir mes études au Conservatoire. J’ai connu des tas de copains à l’armée et des gens devenus célèbres, Pierre Perret qui jouait du saxophone, Pierre Henry, Michel Legrand, Maurice Jarre. En 1954 à la fin de mon engagement heureusement j’ai vite trouvé une place, sinon je voulais continuer au Conservatoire et travailler avec Olivier Messiaen, c’était pour moi la musique de l’avenir. Mais je n’avais pas les moyens et il était interdit de « faire le métier » à côté. Je faisais quand même le bal le samedi soir incognito ! Même militaire, et au Conservatoire, quand mon père est revenu d’Amérique avec son orchestre en tournée mondiale au Palais de Chaillot, c’est moi qui tenait la partie de marimba tous les soirs. Ça m’a coûté huit jours de prison car un matin je ne me suis pas réveillé et j’ai manqué la prise d’armes à la Bastille !

AJ : tu as pris ta retraite en 1992

JC : oui, la classe jazz a heureusement continué et ça fonctionne très bien. J’ai eu l’occasion d’entendre récemment des jeunes issus du département musiques actuelles du Conservatoire et ça joue vraiment bien.

AJ : la scène jazz à cette époque à Bordeaux ?

JC : je ne l’ai pas connue car je suis parti habiter à Monaco où ma femme travaillait pour TMC et nous sommes revenus en 2005 nous installer à la Teste. J’ai quand même connu l’Amadeus où on a joué avec le Bordeaux Big Band. J’avais mon propre big band dans les années 80, le Jazz Work Shop devenu ensuite le Jazz Forum Big Band et à mon retour dans la région en entendant le BBB j’ai eu envie de travailler avec eux.

AJ : qu’est devenu le BBB ?

JC : il se sont séparés un peu après l’album (BBB/Jean Courtioux : Burdigala Blue) à vrai dire ils ne s’entendaient plus très bien. Les musiciens bordelais sont un peu particuliers, ils vivent un peu en chapelles, avec des jalousies. J’aurais aimer créer une structure qui regroupe les musiciens mais plusieurs m’ont dit que ça ne marcherait jamais. Certains ne peuvent même pas jouer ensemble.

AJ : et en plus voilà les jeunes qui viennent leur mordre les mollets.

JC : oui les vieux ne s’entendent pas entre eux, les jeunes non plus et les jeunes avec les vieux pareil ! C’est du moins ce qu’on me raconte car je ne connais pas tout le monde. Ce n’est pas récent, à l’époque de mon big band on nous appelait péjorativement la bande à Courtioux comme si on était la bande à Bonnot ou la bande à Bader.

AJ : c’est curieux car nous en côtoyons beaucoup et ce n’est pas l’impression que ça donne.

JC : mais chez les musiciens classiques ce n’est pas mieux, c’est terrible.

Sacré personnage que Jean Courtioux qui n’a pas sa langue dans la poche !