Parue le 01 novembre 2014 dans la Gazette Bleue N° 7

Par Dom Imonk

Dès les premières notes de « Eternal Thursday », l’écoute de ce premier disque du contrebassiste Florent Nisse procure le même plaisir qu’une virée d’automne, entre de grands arbres aux feuilles dorées, d’un côté du chemin, et de l’autre, des vignes à perte de vue, et quelques silhouettes qui s’affairent à en cueillir les fruits. Le ciel bleu est vaste, à peine zébré de quelques nuages blancs, et le soleil si doux.

On apprend que ce disque, au titre jeu de mot, est un hommage à trois grands artistes, acteurs d’un jazz multiple, parmi les plus novateurs. Paul Motian pour les scintillements de batterie qui peuplaient d’étoiles les cieux ravis, Charlie Haden qui faisait sonner sa contrebasse comme chante l’arbre et Bill Frisell, archéologue futuriste du folk des grands espaces.

La carrière de Florent Nisse a pour socle une solide formation, qui s’est enrichie de multiples expériences (Avec notamment Thomas et David Enhco, Fred Borey, Didier Lockwood, Michel Portal et beaucoup d’autres…). Son jeu est beau et profond. Il a cette générosité, cette parcimonie contrôlée, cette omniprésence du son du bois, qui le placent dans l’esprit de Charlie Haden. Écoutez son superbe chorus sur « Image F ». Il est entouré d’amis avec lesquels il est en totale communion. Maxime Sanchez dont le jeu savant de piano inocule un peu partout, par de très beaux accords et chorus, un subtil romantisme aux espaces laissés vacants, et Gautier Garrigue qui nous épate par un jeu de batterie élégant, et cette maturité neuve qui sait allier avec mesure percussions de cymbales et de fûts, aux silences furtifs laissés à notre initiative. Les musiciens « invités » font corps, ils ne sont jamais extérieurs et se mêlent au discours de ce très beau quintet. Chris Cheek apporte une part de l’expérience qu’il a acquise auprès de grands aînés, dont bien sur Paul Motian. Son phrasé se bonifie avec le temps. Son sax ténor dit des phrases qui marquent, mais il n’est jamais trop bavard. Il plonge la couleur d’ensemble dans des teintes plutôt nostalgiques, dont ressort par moment un délicieux parfum suranné (« A way away »). Jakob Bro est un guitariste de tout premier plan. Ses parties de guitare sont variées et magnifiques. Mais l’on y succombe tout particulièrement quand elles forment faisceaux de strates électriques, greffées au plus profond de certains morceaux comme par exemple les somptueux « H Code » et « Image F ». Cela nous rappelle les envols au son de fer acidulé d’un certain Bill Frisell, avec lequel il a déjà joué.

Toutes les compositions sont liées par ce fil de beauté grave qui ouvre de grands espaces, dans des climats changeants. Il s’agit d’un jazz d’aujourd’hui, ouvert et d’inspiration multiple. Il possède cette grâce naturelle et un langage universel qui rend son message accessible bien au-delà des cercles purement « jazz ». Difficile d’en ressortir un morceau favori ! Quoique que « Ombre et brouillard », « Rêve normal », « Image F »… mais il y en a bien d’autres ! Outre le titre de l’album, on aime aussi ce jeu de mots : « Des lits d’initiés ». Maxime Sanchez a composé « A la pluie », « Intrépide » et « Image F » et Florent Nisse les sept autres morceaux.

Qualité des compositions, ouverture, harmonie, précision du son, interprétation de très haut niveau. Tout fait de ce disque une grande réussite, que l’on écoutera encore et encore, bien après l’arrivée des Rois Mages !

Enfin, il faut saluer la création du nouveau label indépendant « Nome », distribué par l’Autre distribution, sur lequel sort ce disque. Signalons que « Nome » a été créé par David Enhco, Florent Nisse, Adrien Sanchez, Maxime Sanchez, Roberto Negro et Gautier Garrigue.

Par Dom Imonk

www.florentnisse.com

NOME 002 / L’Autre Distribution