Festival Jazz et Garonne 2024
par Philippe Desmond, photos Solange Lemoine
Marmande, 11, 12 et 13 octobre 2024.
Tout comme la Garonne toute proche, le temps s’écoule inexorable. Déjà la 14ème édition du festival Jazz et Garonne de Marmande organisé par l’association Les Z’Arts de Garonne autour de Myriam Esparcia et du directeur musical qui n’est autre qu’Eric Séva, un nom qui compte dans la sphère jazz.
Programmation complète : https://www.jazzetgaronne.com/
Action Jazz a passé le second week-end au festival, celui où les concerts se déroulent principalement au théâtre Comoedia.
- Vendredi 11 octobre
Perrine Fifadji : »Hwessi-Royales »
Voilà deux ans Perrine Fifadji était venue au festival proposer son projet « Goutte d’eau », un retour aux origines, les siennes, elle a décidé d’explorer de plus près le pays de ces racines, le Bénin autrefois Royaume du Danxomé ou Dahomey. Avec ses musiciens fétiches Rija Randrianivosoa à la guitare et Ersoj Kazimov aux percussions, l’un d’origine malgache, l’autre turco-macédonienne comment ne pas qualifier sa musique de musique du monde, appellation parfois galvaudée et ici bien réelle. Perrine chante, récite et danse l’histoire de ce pays, l’esclavage et ses complaisances locales « A qui la faute ? », la situation des femmes, ces mères, tantes, soeurs, des figures fortes du Bénin. Perrine a beaucoup de liberté sur scène, le plus souvent en mouvement, en ondulations, reproduisant à merveille les danses ancestrales ou tribales. Musicalement la nouveauté est l’apport d’un tapis harmonique aux machines, la présence de pads électros pour Ersoj toujours aussi impressionnant de clarté et d’explosivité au darbouka. La guitare de Rija, qui contrôle aussi l’ordinateur , apporte sa touche légère et chantante. Avec ces compositions originales nous voilà revenus aux racines du jazz peut-être, certainement même. Eric Séva, grand voyageur musical, ne s’y est pas trompé et le public s’est laissé séduire.
Christophe Dal Sasso et Shekinah Rodz « The Spirit of 3 «
Christophe Dal Sasso : flûtes, compositions, arrangements / Shekinah Rodz : voix, flûte, sax alto, percussions / Raphaël Illes : sax ténor / Michaël Steinman : trombone, voix / Manuel Marchès : contrebasse, voix / Karl Jannuska : batterie / Nadia Tighidet : percussions, voix / Vincent Lafont : Fender Rhodes.
Christophe Dal Sasso aime la musique bien sûr mais il aime aussi les musiciens, il aime s’en entourer de beaucoup et composer pour eux. Big Band ou ce soir octette il est toujours très secondé sur scène. On vient de quitter l’Afrique mais on s’y replonge avec le premier titre en mode afrobeat. La rythmique est puissante et le restera, sauf pour les quelques jolies ballades chantées par Shekinah, elle partira même vers la transe sur un titre rappelant Pharaoh Sanders, une des références de la saxophoniste. Nous serons très gâtés avec les chorus des soufflants, délicats à la flûte, enflammés à l’alto, bouillants au ténor bien rons au trombone. Le Rhodes, poussé par les percussions – Karl impressionnant, je dirais aux tambours, plus qu’à la batterie, je me comprends – et une contrebasse musclée nous délivrera ce son vintage caractéristique que j’aime tant. Duo de flûtes en bois délicat, reprise cristalline de Youssef Latif « The Golden Flute », final explosif aux percussions … une succession de cadeaux musicaux offerts avec en plus de l’humour bon enfant de Christophe Dal Sasso. Une soirée riche et variée résolument tournée vers le jazz et ses racines.
- Samedi 12 octobre
Concert pour Sylvain Luc
Olivier Ker Ourio : harmonica chromatique / Khalil Chahine : guitare / Eric Séva : sax soprano / Didier Ithursarry : accordéon / Matthieu Chazarenc : batterie / Sylvin Marc : basse / Pascal Ségala : guitare.
Le 13 mars 2024 une terrible nouvelle tombait, le décès brutal de Sylvain Luc. En trois secondes il avait été emporté par une attaque cardiaque, ce cœur qu’il avait si grand le lâchait. Pour ces musiciens qui l’ont côtoyé musicalement mais qui étaient aussi ses amis, l’émotion est encore présente. Ce concert hommage il en ont besoin, pas pour tourner la page mais pour montrer l’amour que pouvait et qui peut encore réunir autour du guitariste bayonnais. Depuis plusieurs jours ils sont réunis chez Eric Séva pour préparer le répertoire, pour le jouer du mieux possible, mais aussi pour se rappeler les bons moments avec Sylvain, ils en ont connu tant.
Ainsi ce soir vont-il balayer une partie du répertoire de Sylvain Luc lui qui était capable de transformer la moindre bluette, la moindre chanson en chef d’œuvre. Jamais d’esbroufe, pas d’étalage de virtuosité mais de la retenue, de l’épure dans son jeu. C’est cette sensibilité que les musiciens vont proposer ce soir. Quelle jolie reprise que celle de ‘Sous les ponts de Paris » ou encore « Gasté ». Et ce final avec le chœur d’adultes du Conservatoire de Marmande pour « Xarmengaria » un des hymnes de Sylvain, quelle forte émotion. Auparavant, un autre de ses amis, le journaliste Robert Latxague, sur des arpèges de Khalil Chahine, nous a clamé son texte hommage avec son lyrisme et sa verve habituelle, un moment plein de force. Un hommage sincère de tous ce soir, ils en étaient encore émus bien après le concert, nous aussi.
Bientôt le film de l’interview des musiciens dans lequel ils évoquent chacun un souvenir avec Sylvain.
Antonio Lizana » Vishuddha »
Antonio Lizana : sax ténor, flûte, voix , palmas / Daniel Garcia : piano / Shayan Fathi : batterie / Arin Keshishi : basse / El Mawi de Cadiz : danse, palmas, tacones, choeurs.
Il se trouve qu’on avait vu le groupe le mois précédent au Anglet Jazz Festival mais le revoir si peu de temps après a été une joie. Ce groupe est flamboyant. Ce crossover de jazz et de flamenco est d’une vraie force qui vous soulève et vous tient en haleine. Les deux mondes se mêlent tellement bien. Remarquable saxophoniste, Antonio Lizana possède en plus ce timbre vocal caractéristique des chanteurs de flamenco, il délivre ses plaintes avec fougue en vous donnant la chair de poule. Et quand vous réalisez qu’au piano il y a rien moins que Daniel Diego un des pianistes en pleine ascension – son trio est un bijou – que vous entendez le drumming créatif de l’iranien Shayan Fathi et la basse ronflante de l’arménien Arin Keshishi construire une rythmique si complexe mais si accessible à nos oreilles pourtant incapables d’en compter les temps, que vous voyer virevolter nerveusement El Mawi, vous ne pouvez que succomber au charme explosif de ce groupe. Pour finir, cours de chant flamenco offert par le si généreux Antonio, final en forme de jaléo, public debout et subjugué.
Une soirée pleine d’émotions, d’émotions, un vrai bonheur.
- Dimanche 13 octobre
Eric Séva & Daniel Zimmermann : souffleurs sur un fil dans une église
par Philippe Marzat, photos Solange Lemoine
Le soleil doux de l’automne venait de finir par se coucher derrière les rives des eaux tranquilles du canal. II n’éclaire même plus les vitraux de la petite église de Fourques-sur-Garonne. La nuit vient peu à peu et commence à envelopper le décor autour de l’édifice. Des gens, venus d’un peu partout des environs et même au-delà des limites du canton, sont entrés en parlant à voix basse. Les chuchotements ont duré encore un peu puis, quand une à une la lumière des éclairages a commencé à s‘estomper, le silence s’est fait. Jacques Bilirit, maire de la commune et Éric Séva se sont avancés au milieu du chœur. L’auditoire s’est fait attentif aux propos des orateurs et puis Éric a annoncé le programme de ce soir : «Deux souffleurs sur un fil», avec au trombone Daniel Zimmermann, au saxophone baryton Éric Séva et le duo sera accompagné par le Chœur du Conservatoire Maurice Ravel sous la baguette de Jacques Charpentier.
L’église est pleine. Les travées sont garnies jusqu’à la dernière chaise. Ils sont venus écouter ce merveilleux duo qui va nous souffler des airs agréables à l’âme. Pour ma part, je vous avouerai que je les ai déjà entendus, tous les deux, seuls dans ce duo singulier. C’était dans un séchoir à tabac où le bois de la construction absorbait le son. Ici la pierre froide et le dôme du chœur de l’église rendent un tout autre volume et enrichissent les mélodies jouées. Je n’ai même pas reconnu le concert, il me semblait tout autre, une autre ambiance, un renouveau. Cet état de fait s’est accentué quand le Chœur du Conservatoire Maurice Ravel s’est déployé en demi-cercle autour du duo souffleur. A ce moment-là, nous étions envahis par ce mélange harmonieux de voix et d’instruments, magnifié par le lieu. Le public était ravi et le faisait savoir aux applaudissements nourris qu’ils récoltèrent tous.
Hélas, tout moment divin a une fin et celle-ci est venue. Alors, comme pour prolonger l’instant, à la fin des bis, Daniel Zimmermann et Eric Séva sont revenus nous jouer une petite valse-jazz. Il ont descendu les trois marches du maître autel pour s’avancer à la hauteur des premières auditeurs. Les premières notes ont fusé sous les voûtes. Il s’est passé une chose étrange mais dans ce lieu, allez savoir. Une sorte de miracle s’est produit, un couple, puis deux se sont unis et mis à valser dans l’allée centrale de la nef. Ils ont insensiblement gagné le centre et l’enthousiasme du public. Sur ce, le duo s’est spontanément avancé à la rencontre des danseurs à pas légers, comme deux souffleurs sur un fil.
L’assemblée était aux anges.
Merci à toute l’équipe d’organisation de ce festival où règnent la bienveillance et la sérénité.