Par Alain Flèche, photos Michèle Mériaud

Jouer en quartet, c’est du boulot, en trio : chacun a une grosse responsabilité de jeu permanent, en duo : tension permanente pour alimenter l’échange. En solo, c’est très différent : le challenge est entre soi-même et le public, se faire plaisir et convaincre les auditeurs que l’on fait de son mieux. En même temps, selon la relation établie, c’est aussi une relation directe, un sentiment partagé en intimité, un échange confidentiel. Tout de même, faut se mettre à poil ! Alors voici ce qu’il s’est passé ce matin là, dans la croquignolette église locale, que l’on dirait faite à recevoir ce genre d’exercice :

Dimanche 22 septembre

Gilles Coronado : guitare

5.jpeg

Voici donc un jeune homme décontracté, avec force pédales d’effet (non qu’il ab-usera de toutes, mais selon …), après un petit moment à régler sa Gibson … Présentation du programme : il jouera de Do à Si (en fait : de face et bien assis). Préparation du son. On commence en bas du manche (notes graves) et on chauffe les doigts (arpèges mélodiques, accords musclés) . Mise en place de la performance : choix des effets, hésitations, mise en route… comme si on passait voir un pote grateux se faire plaisir chez lui. Intime donc, la relation se construit pas à pas, note à note. Le temps d’enregistrer quelques boucles en support, et c’est parti. Juste assez d’effets pour installer une ambiance cosmique (genre ‘Floyd’), des accords chaleureux (Frisell), mais c’est bien le son de Gilles qui nous emmène en ballade au milieu des étoiles, dont il n’est pas la moins brillante. Il s’amuse à tester les possibilités des boites électroniques, un peu de groove rock, des sustains qui nous scotchent sur la voûte de l’église, et puis, une chouette petite chanson folky avec des paroles en forme d’interrogations de tous les jours, très attachante, comme l’est le personnage. On revient sur l’expérimental, avec moult aller-retour jazz-rock (sans allusion vers la soupe ‘Jazz-rock’), toujours dans une continuité conceptuelle assumée. Picking farfelu mais harmonieux, onirique et rêveur en belle et longue suite qui se rapproche de l’intention des Raga/alap indien. Ca plane, ça virevolte, ça chahute… et c’est fini, trop vite. Mais place au programme suivant :

Christiane Bopp : Trombone, Flugabone (si si ça existe)

6.jpeg

Forte présence d’un petit bout de bonne femme bien assurée, un mignon sourire permanent que sa position sur les embouchures n’arrivera pas à déformer, sauf moments de concentration intense que son visage expressif ne cherche pas à camoufler. Plusieurs sourdines et bidouillages efficaces. Allons-y. Des notes agréables, d’autres qui grincent. Beaucoup de nuances qui donnent vie à des suites contemporaines habitées de généreux sentiments partagés. Gros travail sur les harmoniques qu’aurait bien reconnu Albert Mangelsdorf (le rapprochement ne la gêne pas). Des motifs entêtant répétés avec un gros son très prégnant (genre Dead Man, ou Apocalypse Now), avec … et sans coulisse (étonnant). Ensuite, on s’amuse, on joue, on rigole : une clochette accrochées au bout de la coulisse, métal frotté avec des trucs bizarres, souffler sans l’embouchure, sans la coulisse… mais avec expression ! Et puis, exploration de cet espèce de petit tuba : le flugabone. Plus recherche de sons que des notes, Encore des harmoniques, du wha-wha, et la voix qui chante des notes différentes de celles de l’instrument. Chants et murmures qui se perdent dans la sourdine. Un montage perso de sourdine et tuyau flexible : longue plainte mélodique en musique sérielle que n’aurait reniée Arvo Part. Beaucoup d’inventivité, d’expressions, de chaleur, de force et de douceur dans la découverte de cette fort sympathique instrumentiste d’exception. Encore une passionnante piste à suivre …

Didier Freboeuf : clavier / Jean-Luc Petit : clarinettes, sax soprano, sax sopranino

7.jpg

 

Un dernier petit (?) duo, de grands artistes ! Pas, peu, de virtuosité superfétatoire, même si quelques échappée (belles) nous montrera que ce n’est pas forcement nécessaire pour prouver leur talent et la maîtrise de leur art. Jeu d’ambiance donc, ambiance intense, réfléchie, posée, maturée. Tous 2 concentrés sur leur instrument et sur l’écoute de l’autre pour une cohérence optimale afin de créer du Beau. La ligne de haute tension entre les 2 est palpable. Didier restera discret, mais bien présent. Un gros son d’orgue, attaché à la terre, qui nous enveloppe, nous relie dans une attention commune et gourmande. Le son du clavier deviendra plus aquatique, puis aérien. Manque le feu ? non, il est à l’intérieur des exécutants, visible autant qu’audible. Ca couve, grossit, parcours les doigts, crispe les visages, avant d’habiter les notes franches ou suggérées qui sortent, frémissantes d’impatience, claires, lumineuses, et nous atteignent directement au cœur. Touchés ! Un petit tour sur les capacités des instruments à vent, sur celles du soufflant (si besoin était). Travail sur les harmonies, les harmoniques, le souffle, les becs, les tessitures, mais rien de trop, juste adapté au besoin du moment, en réponse à un choix décidé d’unité. Clarinette basse, très terrienne aussi, mais ne rechigne pas à bondir chatouiller les étoiles, filantes et sifflantes, entre quelques glouglou enivrant. Une note se promène, reprise au vol, elle va chercher ses copines pour répondre, trouvent un mur réfléchissant, changent de direction, reviennent à la charge, avalées par l’autre glouton avant de resurgir dans une autre histoire qui n’a pas de fin. Ben si, zut, il y a une fin, mais nous ne restons pas sur la nôtre . Nous sommes repus.

JAZZ COMPOSEURS ALLUMES ORCHESTRA – JCAO

Nicolas Bianco / Bernard Santacruz / Laurent Vichard / Rémi Gaudillat / Fred Roudet / Loic Bachevillier / Christiane Bopp / Gilles Coronado, et le Grand, le Beau, le Fort, Maître-d’œuvre du festival : Mr BRUNO TOCANNE

81.jpg

All stars de ce week-end passionnant, ne manque que ceux qui ne pouvaient faire autrement, et que nous regrettons, heureusement laissant suffisamment d’acteurs pour mener à bien le projet de Bruno pour ce collectif improvisé. La direction est dans l’intitulé : référence avouée au travail de Carla Bley et de son JCO de belle mémoire. Influence majeur de notre fabuleux batteur, déjà mis en lumière par sa formidable adaptation et relecture de l’ « escalier par-dessus la colline ». Il ne s’en est pas remis, et c’est tant mieux ! (Il y a pire comme référent).Bruno le coloriste (Ha, Motian !), a l’œil, et les baguettes partout, surveille ses assistants qui se sont suffi d’une brève répétition dans l’après-midi, la répartition des partitions, la tension dans l’air, à fleur de peaux et de cymbales. Capitaine du navire qui quitte le port d’attache sur une mer dont s’échappent fumerolles et vapeurs matinales ordonnées ou insolites ou inattendues. Des notes éparses, seules, groupées; des extraits de mélodies inachevées… Clarinette basse en souffle continu, les contrebasses s’échangent l’archet tour à tour, les soufflants se sont cherchés, donc trouvés, et groupés. Grosse machine bien affrétée, le navire a trouvé sa vitesse et sa trajectoire, la croisière est en marche. On touche le « Music Liberation Orchestra » du bout d’expressive mémoire. Au milieu de ce bel hommage à la grande et belle dame blonde, une œuvre de Pierre-Nicolas Bianco : « Rezvan » (déjà interprété par l’Orchestre National de Lyon) : histoire d’une rencontre avec un enfant de Roumanie immigré, contre le sien …(!?).

82.jpg

Tous, notamment Fred et Jean-Luc,, et Pierre (bien entendu, qui ne se privera pas de faire chanter sa contrebasse avec force et volupté), vont se rejoindre pour dégouliner de grands sentiments sur cet air inspiré des Balkans, chargé de tendresse et de violence, de guerre et d’amour, de lumière et de ténèbres, musique de film (esprit Emir Kusturica) , avec des images dans la tête, qui émeuvent le cœur et l’âme. Passages enlevés et joyeux ou traînant et nostalgiques, personne, musiciens et auditeurs n’en reviendrons indifférents. Et le navire reprend son cours. Mer calme, intensité des silences, repos tendus, le vent se lève. Il y a du gite, ça gonfle, déborde, retombe, reprend… Les instruments, totalement libérés de toutes amarres, sont agités et livrés à tous les vents contraires. L’orage s’éloigne, le capitaine dirige à nouveau l’expédition, des tambours militaires, non, militant pour la juste cause d’intelligence, induit un air libertaire, un chant de pirate éveillé par le soleil levant, porteur d’utopies réalistes. Chant du retour dans les chaumières, des retrouvailles avec le connu. Fin du voyage. Fourbus et ravis. Des au-revoir amicaux, promesses de se revoir bientôt, au coin du prochain festival convivial…

à l’année prochaine Bruno !

jazz2019-724x1024

PolaJAC2019-DB-002

Carte AJ