Erik Truffaz et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine

« Side by side »

par Philippe Desmond

L’Auditorium de l’Opéra de Bordeaux, jeudi 19 mai 2022

On connait l’éclectisme du trompettiste compositeur Erik Truffaz, notamment son utilisation des effets électroniques au service de sa musicalité. On le connait moins dans le domaine qualifié de jazz-symphonique qu’il nous propose ce soir à Bordeaux dans ce lieu plutôt dévolu à la musique classique et qui de temps en temps flirte avec le jazz. Car on reste au niveau du flirt, ici on ne se lance pas – pas encore – dans une relation passionnelle, dans l’abandon.

Erik Truffaz joue avec la pianiste, éclectique elle aussi, Estreilla Besson avec qui il propose régulièrement un duo, mais ce soir les voilà avec les 55 musiciens et musiciennes de l’ONBA dirigés par Bastien Stil, chef d’orchestre lui aussi friand de toutes les musiques.

Le trompettiste vient présenter une oeuvre qu’il a composée et qu’il joue ça et là en Europe avec des grands orchestres. Il est arrivé comme toujours bien mis, chapeau sur la tête, c’est lui le jazzman, mais pieds nus. A ses côtés, longueur du Steinway de concert mise à part, Estreilla. Impressionnant et magnifique à regarder, l’orchestre et son agencement minutieux : violons, violoncelles, contrebasses, les cuivres, cors, trompettes, trombones, tuba, les clarinettes, les hautbois… Ne cherchez pas les sax, instrument emblématique du jazz, il n’y en a pas. Derrière les percussions, timbales, gong, claves, cloches tubulaires… Esthétiquement c’est superbe, musicalement encore plus.

Au son d’un bourdon indianisant Erik se lance avec suavité dans un solo, bientôt rejoint par l’orchestre qui petit à petit se fait plus présent. Les nappes de violons, la chaleur des cors, les surprises des percussions, une atmosphère se crée. Jazz symphonique donc dans lequel je dois dire que je cherche un peu le jazz ; mais il est là avec quelques passages improvisés, Erik étant le seul à ce moment là à ne pas suivre la partition (*). Il se permettra des boucles de trompette avec ses effets électro utilisés ce soir avec parcimonie. Il nous tourne souvent le dos attiré par la lumière de l’orchestre ou par les sublimes passages de piano d’Estreilla Besson, délicate, se lançant parfois dans un concerto. Quelles richesse et précision des arrangements pour cette musique très écrite mais comment faire autrement avec près de 60 musiciens sur scène. La voilà la limite avec le jazz, on est vraiment très près de la musique symphonique, très loin de celle des big bands, pas de swing ici d’autant que le répertoire reste dans un registre assez calme. La puissance de l’orchestre se libèrera parfois mais trop rarement à mon goût. Alors oublions qu’on nous a annoncé du jazz symphonique, goûtons tout simplement à la beauté d’une musique exécutée par des maîtres en la matière. Erik Truffaz à la fin fera même une déclaration d’amour à l’ONBA nous confiant sans flagornerie que c’est le meilleur orchestre avec qui il ait joué ce répertoire en Europe.

Un concert bien dans l’esprit du lieu…qui deux jours après, à la surprise générale, recevait un certain Iggy Pop !

(*) « Pour arrêter un musicien classique, il faut lui enlever la partition et pour arrêter un musicien jazz… il faut lui donner une partition !  » Trouvé sur le mur du pianiste classique et très ouvert sur le jazz Dimitri Naïditch.