Daniel Erdmann Quartet à l’Astrada de Marciac
« Velvet Jungle »
3 août 2022
par Annie Robert
Pour tous ceux que le jazz intéresse de près, Daniel Erdmann n’est pas un inconnu, loin de là.
En trio avec Das Kapital ou auprès de nombreux autres artistes, comme Joachim Kühn, Louis Sclavis ou André Minvielle, il est reconnaissable par un son rageur, rauque d’une grande densité, un discours généreux et ramassé. Le saxophoniste ténor fréquente les scènes européennes depuis longtemps et chacun apprécie son inventivité fluide et son discours clair.
Il est l’âme et le fer de lance depuis quelques années du Trio Velvet Révolution. C’est d’ailleurs à trois qu’il entameront le concert; pizzicati du violon de Théo Ceccaldi, cintres transformés en archet du vibraphone de Jim Hart, pour un morceau rempli de paradoxes avec des moments vaporeux et poétiques et d’autres plus rudes et abstraits.
Puis Cyril Atef à la batterie et aux percussions ( parfois à la voix) les rejoindra, pour troubler un peu ce triangle amoureux. Il y apporte son inventivité et ses rythmes marqués et dansants. Et nous voici dans Velvet Jungle, une promenade pas toujours sage entre les souvenirs, les amours, les évocations de Daniel Erdman. Cela va du Berlin des années 90, à une « Tigresse » rageuse, en passant par l’évocation d’amis proches ou d’admirations comme le cinéma d’Auri Kurismaki.
L’ intérêt musical du groupe est multiple et saute aux oreilles. D’abord une répartition des voix équilibrée, un vrai travail de groupe où l’on sent complicité et partage. Chaque instrument à sa part de création, d’impros, de motifs. Chacun passe en lead, ou en soutien dans le même morceau parfois. Ils savent jouer des ruptures, des silences, s’écoutent et se complètent. Des voiles noirs, des hardes déchirées, des crêpes dentelle, des perles et de la soie.
Ensuite une utilisation des capacités de chaque instrument dans tous ses possibles. Le violon expert de Théo Ceccaldi par exemple, déploie une grande variété d’approches, semblant parfois entrer dans le rôle d’un guitariste, ou même d’un percussionniste. Dans ce quartet sans basse, il tient souvent la ligne absente et la couleur boisée du violon fait merveille. On se régalera bien sûr des ses savoirs dans des montées furieuses ou dans un solo oscillant entre variations classiques et couleurs tsiganes.
Le vibraphoniste britannique Jim Hart déroule de son côté, de scintillantes guirlandes d’arpèges avec un dynamisme marqué et une grande vélocité de jeu. Il a le sens du motif, de la paraphrase envoutante. La sonorité de son instrument insuffle au quartet une coloration céleste, délicate, qui fait écho au son du violon.
Compositeur inspiré, Daniel Erdmann invite à des récits concis, relativement simples. Mais il en fait des motifs, toujours soigneusement scénarisés, remplis au final de complexités cachées. Il a un timbre chaleureux, qui peut se tordre de façon exubérante. Elaboré par couches successives, son travail de composition aboutit à une musique d’une grande beauté capable d’étonner et de surprendre étant donné la place qu’elle laisse à la créativité et aux débordements des musiciens.
Quant à Cyril Atef, il sait installer des rythmiques discrètes ou folles et surtout marquées d’un ailleurs ethnique qui rehausse et décale l’ensemble. Il est audacieux dans ses solos et sait rejoindre sans s’étaler outre mesure les couleurs des autres.
C’est aussi une des caractéristiques du quartet.: jouer avec talent, sans ostentation, s’obliger à mettre en valeur le travail d’écriture plutôt que les prouesses instrumentales.
Accessible à un large public, la musique du Velvet Jungle tendre et attachante, ou folle et rageuse trouve un équilibre parfait entre atmosphères éthérées et grooves assumés. C’est une découverte enrichissante et tonifiante.
Le public, hier soir n’était pas autant au rendez vous qu’on l’aurait souhaité.
Une fois encore les absents ont eu tort. Cette Jungle de velours et de débordements est passionnante.