Chroniques marciennes 5-.7                                                                              Chapiteau de Marciac/  7 Aout 2019

texte : Annie Robert

Ce soir sous le grand chapiteau, c’est un musicien très particulier qui est accueilli, un «personnage» comme on dit. Vêtu de rouge, mithridatisé de la tête aux pieds et jusqu’au bout de l’ instrument, il ne passe pas inaperçu et à l’évidence ne le souhaite pas.

Natif de la Nouvelle-Orléans, Christian Scott est l’un des jazzmen les plus en vue d’aujourd’hui et j’étais impatiente de le découvrir. Immergé dans les traditions indiennes du Mardi Gras depuis toujours ( voir Black Indians documentaire fort intéressant à ce sujet), il se distingue par sa proximité avec le hip-hop, la soul, le funk ou la pop. Il qualifie lui même sa musique de Stretch Music, ou musique élastique. il est un passeur, un synthétiseur d’influences.
Depuis le début de sa carrière, on sait qu’il est un fervent défenseur des droits de la personne et un critique acharné des injustices à travers le monde. Le titre de l’album présenté ce soir « Ancestral Recall » en est l’emblème.
Il arrive donc avec une réputation d’ empêcheur de jazzer en rond qui me plaît bien.
Bref, il a tout juste comme on dit.

Et le premier morceau du set va être décoiffant, c’est le moins qu’on puisse dire : deux percussions et batterie, des décibels aux maximum, un enveloppement très fort, très puissant à la limite de la douleur. C’ est une musique de l’affirmation, une musique qui s’impose dans un souffle pulsionnel, proche de la transe, répétitif et trépidant. Toutes percussions devant !! Un morceau qui se rapproche par sa puissance de Kamasi Washington, ou Sons of Kemet.
Une première grande vague, vaste, sauvage comme celle de Nazaré qui coupe les jambes et laisse sur le sable, la tête en vrac, le cœur à l’amble…et réjoui.

Et j’ai attendu la suite, les autres vagues, les autres remue méninges, les autres tourneboulages, les autres trente six tonnes qui percutent bien … et ce n’est pas venu. Christian Scott s’est retiré quasiment de sa musique pendant six morceaux, ne jouant que pour lancer les thèmes en binôme avec son saxophoniste. Que c’ est étrange un groupe dont le leader ne prend pas la main… C’est sûrement volontaire, du moins e l’espère. Le désir de laisser la part belle aux musiciens qui l’entourent.
Et du coup je me suis trouvée partagée. Car les musiciens qui sont avec lui sont des merveilles de qualité: Logan Richardson au saxophone, chaud, tellurique, un son, rond et plein, très incisif et des chorus d’enfer, Lawrence Fields au piano haletant et cependant mélodique, rempli de délicatesse et aussi de force, le contrebassiste Kris Funn agile et efficace. Quant à Corey Fonville à la batterie et Weedie Braimah aux percussions, ils ont une richesse de propositions rythmiques qui s’impose aux oreilles, ils sont bluffants de pugnacité et d’inventivité… Et le plaisir à les écouter est bien présent. En plus , ils jouent en groupe.. .

Mais voilà ……sans leur leader qui se contente de faire quelques interventions discrètes, ( belles mais rares), parle pendant 10 minutes pour un chapiteau dont les trois quarts ne comprennent pas ce qu’il dit ( avec en plus la fumeuse impression qu’il remplit le temps…un prêche en somme). J’avoue ma frustration profonde.
Autre réticence aussi, cette recherche du toujours plus… toujours plus vite, toujours plus fort, toujours plus haut, paroxysmes et spectaculaires à l’affiche. Elle est porteuse chez certains, organiques chez d’autres, magnifiques quand elle sont au service d’un propos, d’une musique novatrice… mais ici la dimension improvisée de cette rencontre, en fait, semblait plus importante que les structures qui l’accueillent. Le support moins important que la manière…

C’était d’autant plus frustrant que la fin du set fut magnifique avec un dernier morceau à l’image du premier, hyper groove assorti de solos fiévreux où la trompette de Christian Scott a donné toute sa dimension.
Qu’est ce que j’ai regretté de ne pas d’adhérer en bloc, de façon inconditionnelle.
Vraiment regretté… sans compter qu’en plus, j’ y risque peut être mon scalp ….A rajouter à la ceinture du nouveau Big Chief des Black Indians…