Chroniques Marciennes 5.6 Chapiteau de Marciac 4 Août 2019
Shahin Novrasli n’est pas un inconnu pour Jazz In Marciac. Venu en 2016 en première partie d’ Ahmad Jamal, il avait captivé le public par un long piano solo émouvant où se découvrait toute l’étendue de sa richesse intérieure, ses multiples influences et son jeu remarquable
.
Ce soir, il présente son nouvel enregistrement en avant première « From Baku to New York City » dans lequel nous retrouvons l’essentiel de ce qui le caractérise.
Né en Azerbaïdjan, Shahin Novrasli puise autant dans la culture du Caucase que dans la musique classique européenne et les rythmes du jazz. Il crée ainsi une musique singulière et tumultueuse. Si on peut dire que l’influence de Keith Jarrett apparaît parfois en filigrane (l’attaque tendre et classique du piano, la concentration proche de la transe, un jeu corporel un peu torturé) ou que l’émotion et la retenue évoque Yaron Herman, ces proximités ne sont pas essentielles car Shahin Novrasli a une personnalité, un couleur qui lui est propre. Et ce depuis le début de sa carrière.
Il compose une musique comme une tresse emmêlée dans laquelle les brins sont multiples: son éducation classique portée par une technique éprouvée et sans failles avec un amour pour de redoutables harmonies, le folk traditionnel de l’ Azerbaïdjan ce “Mugham” avec ses rythmes capricieux et ses intervalles étonnants et enfin des influences jazz majestueuses et pleines d’énergie. Bref une tresse faite d’Orient et d’Occident.
« Quand j’écris ou que je joue, je ne pense ni au jazz ni à aucun style en particulier, ça doit juste être beau.» dit il.
Le set démarre en douceur, en piano romantique et délicat avec de part en part une note bleue qui se faufile. Autour de lui Samuel F’Hima à la contrebasse s’empare parfois de la mélodie, déploie de belles réponses enveloppantes, des contrepoints qui résonnent. A la batterie Josselin Hazard peut être percutant avec une grosse caisse qui décoiffe les tympans ou tout en nuances, juste sur un jeu de cymbales délicat. Tous les deux concourent à asseoir les atmosphères successives et souvent entremêlées qui portent Shahin Novrasli dans l’instant, dans le jaillissement. Leurs impros ne cassent pas la couleur des morceaux, elles la renforcent. Ils sont parfaits d’écoute et d’osmose.
Ce qui frappe à l’écoute du set, c’est la nostalgie, voire la mélancolie qui est présente, partout, lancinante comme un mal intrinsèque. Une mélancolie qui se transforme parfois en abattement ou en révolte grondante d’exaltation. Des bleus du corps et de l’âme qui s’invitent sans crier gare. Même quand les danses enjouées du folklore font leur apparition, même quand le swing classique du cabaret new- yorkais étale ses dorures attirantes, mêmes dans les nombreuses ruptures, cette nostalgie est là comme un sourire de regret. S’y engouffrent le tragique et la colère. Mais cette nostalgie est tellement porteuse de créativité qu’ on arrive à la désirer et à s’y plaire .
Cela donne une musique dont on ne peut se départir, intrigante et surtout d’une fulgurante beauté. Cette musique nous parle, fortement.
En guise de final , Shahin Novrasli chante derrière son piano pour terminer d’envoûter le public et de l’amener dans son univers quelque part entre Caucase et occident. Il reprendra pour le rappel un chant folklorique avec des impros percutantes et joyeuses.
Un piano magnifique et un univers personnel mais si proche. A découvrir vite, vite pour ceux qui ne l’aurait pas encore fait !!