Yaron Herman à l’auditorium de Bordeaux

Piano solo – samedi 22 avril 2023

par Vince.
Ma première rencontre avec Yaron Herman n’est pas si lointaine… et pourtant.
2007, à l’occasion des 40 bougies du Nice jazz festival, le vrai, celui qui était perché à Cimiez. En ce temps-là, les jardins d’oliviers et les vestiges romains accueillaient, entre autres Katie Melua, Jeff Beck, Ayo, Manu Katché, Sly & the Family Stone, Marcus Miller, Jimmy Cliff, Joe Zawinul Syndicate, les Gipsy Kings, Chano Dominguez, Isaac Hayes, Solomon Burke, Randy Crawford & Joe Sample, Manu DiBango, mais aussi un tout jeune pianiste de 26 ans à l’époque… Yaron Herman.
Avec un line-up digne de Montreux et une ambiance de fête de village, entre les effluves parfumés à l’huile d’olive des vendeurs de socca et les hamacs tendus entre les arbres, les artistes et le public ne faisaient qu’un. Déambulant d’une scène à l’autre de découvertes en artistes vedettes, ce Nice Jazz Festival là avait du panache, le goût des choses simples et l’audace de mêler les pépites émergentes et talents installés.
C’est ainsi, qu’à la lumière du soleil couchant, accueilli par la brise marine et le chant des cigales, Yaron Herman, piano solo me transporta pour la toute première fois dans son univers singulier.
Pianiste instinctif, quasi autodidacte, venu au piano car il ne pouvait pas jouer au basket-ball, Yaron Herman perce assez vite le mur de la reconnaissance. En 2008, il remporte la Victoire du jazz dans la catégorie « Révélation ».
D’origine israélienne, parti à 19 ans aux Etats-Unis, ses influences sont multiples, à la fois pop, classique, jazz et yiddish.
Sideman de luxe aux côtés de Dominic Miller (le guitariste de Sting) ou de Fatoumata Diawara, Yaron Herman est actuellement l’un des pianistes les plus singuliers de la scène jazz internationale. Résolument acoustique, il collabore aussi avec le batteur Ziv Ravitz et des collègues comme Jacky Terrason et Thomas Enhco.
Il signe une douzaine de disques en 20 ans de carrière, mais ce qui est à découvrir chez Yaron c’est son art de l’improvisation, en live, bien entendu.
Le concert donné à l’auditorium, hélas incomplet, fut l’occasion d’écouter quelques escapades extraites de son album piano solo « Alma » paru à l’automne 2022.
Au bout d’une longue inspiration, ses doigts se posent sur le clavier.
Seul au milieu de cette scène au bois clair, le grand queue Steinway non sonorisé résonne des arpèges de cet artiste, totalement plongé dans son univers. Tel le lapin d’Alice au pays des merveilles, il nous attire dans son terrier musical magique où plus rien n’est réalité. Le temps est distordu, les émotions contrastées succèdent les unes aux autres. De temps en temps, des mélodies déjà entendues « I’ve got you under my skin », « Ce n’est qu’un aurevoir », « Yerushalyim Shel Zhahav », « Hava Nagila » nous caressent les oreilles puis les applaudissements rompent un instant la féérie du voyage.
Tantôt tendre puis rêveur, tantôt fiévreux et passionné, le jeu de l’artiste module au fil des paysages sonores installés dans la plus grande sobriété possible.
Vibrant, vivant chaque note, plaçant chaque accord avec une ultime précision, Yaron se désarticule parfois, se tient debout pour étouffer les cordes ou se met presqu’à genou devant l’instrument.
Au bout de 7 pièces et 3 rappels, il s’efface, sans avoir prononcé un seul mot, peut-être pour laisser à chacun, le temps nécessaire pour sortir progressivement de son voyage onirique.
Ce n’est peut-être pas un hasard si Yaron a choisi de revisiter « Après un rêve » de Gabriel Fauré.
https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=aprs%C3%A8+un+r%C3%AAve+faur%C3%A9+yaron+herman#fpstate=ive&vld=cid:d854877d,vid:Fgi4M5J3yAs
Sacha Guitry disait « Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui » ; si Guitry avait vu ce concert de Yaron Herman il aurait pu constater le silence après la dernière note et le temps magnifiquement suspendu.

L’auditorium de Bordeaux. Photographie : Julien Fernandez / Opera National de Bordeaux.