Chroniques Marciennes 5.8

Chapiteau de Marciac/ 9 Aout 2019

texte: Annie Robert

Après une première partie un peu mollassonne, une deuxième dont je n’ai pas saisi la cohérence et un orage dantesque porteur de trombes d’eau voici venir Delgrès !!
Du bon, du chouette, du coloré, du vivifiant.
Sa respiration, et sa joie d’exister…le chapiteau décolle enfin…. On essuie les flaques, on disperse la moiteur.

Avec un premier album «Mo Jodi» nominé aux Victoires de la musique, Delgrès a littéralement cassé la baraque. Ce nom, ils le doivent à Louis Delgrès, un colonel d’infanterie de l’armée française qui a préféré la mort à la captivité après s’être rebellé contre les troupes napoléoniennes venues rétablir l’esclavage. Ce héros oublié de la Guadeloupe est venu murmurer à l’âme de Pascal Danae le fondateur/ compositeur/guitariste du groupe, des chants de lutte et d’espoir, quelque chose d’ancré dans le blues avec le créole pour base et la Louisiane pour horizon, mâtiné d’urbain et de rock saturé et métallique.
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Cela donne un univers assez unique. D’autant plus unique que la composition du groupe est un trio peu courant :Pascal Danaë au chant et à la guitare « dobro » ( guitare au son typé country) qu’il sature volontiers, Baptiste Brondy à la batterie organique, tellurique et Rafgee au sousaphone (ou soubassophone), un instrument de la famille des cuivres apparenté au tuba-contrebasse qu’on retrouve encore dans des fanfares et dont les Louisianais sont friands et au cours de la soirée à la trompette de façon éclatante.
Baptiste c’est le pouls de ce blues organique, rageur et affolé, d’une efficacité implacable. Rafgee, c’est le son brut et chaud qui fait marcher même les paumes, au pas de l’espoir ! Il tient souvent des notes basses en continuum comme un vrombissement d’éléphant qui secoue le ventre ou bien des scansions bougonnes, granuleuses, avec en filigrane des rythmes amérindiens très charnels, les pieds dans la terre, les poings serrés et la tête dans le ciel étoilé.
Cela donne un son actuel, entre Tinariwen et les Black Keys, enraciné dans la joie et la tendresse infinie des héros oubliés mais loin de toute nostalgie répétitive dans une ambiance festive et chaleureuse.
Quant à Pascal Danaé, il a la douceur du son créole bercé par des riffs endiablés !

« Là c’est l’âme africaine qui se reflète dans l’appel de la rue, soutient Pascal Danaë. On peut parler de choses dures, de moments tragiques mais avec un ton enjoué. Le verbe raconte la peine et la musique permet de l’oublier. Le fait d’aborder des choses rudes sur ce mode là, permet aux gens d’entrer en communion avec nous, même si beaucoup ne comprennent pas les paroles« .

D’ailleurs, c’est rapidement ce qui se passe…le public s’agglutine  devant la scène. La danse et le chant s’élèvent.
«Ca y est nous sommes ensemble». Le créole, l’anglais ne sont pas des obstacles. Au contraire les deux langues nous permettent de nous glisser dans toutes les peaux et oripeaux de la musique.
On partage facilement ces chansons de peine ou de sourire. Les amateurs de jazz à citations, de dentelles hard bop, ou de sons tièdes seront sûrement déçus mais ceux qui aiment ( aussi) la sincérité, la générosité, le son un peu rustique, blues, arrondi par le créole s’y retrouvent facilement.
L’intéressant chez Delgrès c’est qu’ils arrivent à tenir  deux bouts à première vue éloignés sans les affadir…. Du créole pas gnangnan et seulement folklorique… du rock pas seulement centré sur la force des décibels. Ce qui les lie c’est le blues, ce chant universel qui nous a rassemblé ce soir.

Déjà salué par la critique, Delgres devrait continuer à se tailler un joli succès auprès des amateurs de sensations fortes. Mais pas que, car ils nous parlent à tous… le groupe fait vibrer aussi bien nos corps que nos esprits !
Un joli message que celui de la créolité dont nous sommes tous porteurs
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