Yvan Cujious & Louis Winsberg
Une Voix, Six cordes, de Claude à Nougaro

Par Vince

Baboo music, Kuroneko

20 ans déjà. Deux décennies après la disparition de Claude Nougaro, ni les amoureux du jazz ni ceux de la java n’ont réussi à sécher leurs larmes. Nougaro a laissé une œuvre vivante immense, aussi vaste que le vide procuré par son absence.
L’album « Une Voix, Six cordes, de Claude à Nougaro » est bien plus qu’un hommage ; Yvan Cujious et Louis Winsberg revisitent sur scène depuis 4 ans déjà une sélection de titres que l’on avait l’habitude d’entendre accompagnés au piano. 30 ans après « Une Voix Dix Doigts » album enregistré par Nougaro en duo avec son complice Maurice Vander, Yvan Cujious (chant, trompette) et Louis Winsberg (guitare, arrangements) gravent un petit bijou cerclé de diamants invités pour l’occasion : Francis Cabrel, Thomas Dutronc, Anne Sila, Bigflo & Oli.

Si le nom de Winsberg ne vous dit rien, sachez simplement que Louis le provençal est un maître des guitares et qu’il fallait bien tout son talent pour arranger un répertoire aussi riche et parvenir à le contenir et le faire sonner seulement à la guitare. Louis Winsberg c’est Sixun depuis 40 ans, c’est Jaleo depuis 2000, c’est un Django d’Or, c’est le sideman de luxe que se sont offert Dee Dee Bridgewater, Marc Berthoumieux, Maurane et aussi Nougaro… Bref, c’est tout sauf un hasard qu’il se retrouve embarqué par Yvan Cujious dans ce projet.
Franchement gonflé, le Yvan, pour oser se mesurer à ce monstre sacré, à un timbre inimitable à un coffre tel, à une énergie et une gestuelle si singulière.
Il est vrai qu’il en a fait du chemin le prof de physique de Pierre de Fermat, devenu trompettiste, chanteur, auteur compositeur. Animateur de radio, producteur et j’en passe. Précisons qu’il est aussi originaire de Toulouse, mais est-ce une condition nécessaire et/ou suffisante pour être légitime ?
Oui, non, peut-être et peu importe car avant d’être un CD qui coïncide avec l’anniversaire des 20 ans, le projet est avant tout un moment artistique à la croisée des chemins entre un concert et un stand-up où l’on rit, où l’on pleure, où l’on chante avec Yvan et Louis.
La rencontre d’Yvan Cujious avec Claude Nougaro se produit en 1995 à l’occasion d’un concours de chanson organisé par Nostalgie et France 3. Claude préside le jury de la finale régionale qu’Yvan remporte ce qui lui permet de représenter la région Midi-Pyrénées / Languedoc-Roussillon à l’Olympia. Le jury est alors présidé par un certain Francis Cabrel !
En 1996, c’est Nougaro qui demande à Yvan d’inaugurer le festival Rio Loco aux côtés de Zebda, Juliette, Art Mengo, les Fabulous Trobadors et toute la scène toulousaine de l’époque. Dès lors, Yvan, Claude et Hélène Nougaro ne se quitteront plus.
Ils enchaînent des collaborations tous azimuts et en 2004, au décès de Claude, il fonde avec son épouse Hélène, l’Association Claude NOUGARO dont il prend la direction artistique jusqu’en 2009.
Sous cette étiquette il organise plusieurs concerts hommage à Nougaro avec Angélique Kidjo, Bernard Lavilliers, Maurane, Michel Fugain, Mouss et Hakim, -M- , Michel Jonasz, Zebda… et co-écrit avec Hélène Nougaro, un livre « Nougaro comme s’il y était » sur l’intimité de l’artiste.

N’est pas suffisamment crédible ? Le 1er Octobre 2019, Yvan crée sur la scène de la salle Nougaro à Toulouse, « Une voix, 6 cordes », en duo avec Louis Winsberg et le spectacle part en tournée dès la fin de la période COVID.
Pour avoir eu la chance de voir et entendre ce spectacle musical drôle et intime en présence d’Hélène Nougaro et de quelques aficionados de Nougaro et de jazz, je recommande vivement l’achat du CD et aussi de débusquer les prochaines dates si vous avez manqué les Francofolies de La Rochelle, le Festival d’Avignon ou le Théâtre de la Mer à Festival Jazz de Sète.
Oui, Nougaro est résolument jazz ! C’est d’ailleurs Michel Legrand qui a insisté pour que sa maison de disque donne un coup de projecteur sur le petit taureau occitan qui voulait être danseur. C’est certainement ce sens du rythme qui permet aux mots du poète Nougaro de si bien coller à la musique et de faire enfin swinguer l’alexandrin en l’associant à des standards jazz et bossa.
Amusez-vous à retrouver les chansons de Monsieur Claude (comme dit Art Mengo) derrière les titres suivants : « Round midnight, Thelonious Monk», « Let my people go, Louis Armstrong», « Work song, Nat Adderley et Oscar Brown Jr», « Berimbau, Baden Powell et Vinícius de Moraes», « Blu rondo à la turk et Three To Get Ready, Dave Brubeck», « Gravy waltz Oscar Peterson», « St Thomas, Sonny Rollins », « Estate, Bruno Martino », »Girl talk, Neal Hefti », « Viramundo, Gilberto Gil » , « Jeru, Gerry Mulligan », « Beauty And The Beast, Wayne Shorter », « À Flor da Terra (O que Será), Chico Buarque & Milton Nascimento », « The Cat, Lalo Schifrin et Jimmy Smith »…
Véritable passeur de musiques élargissant le monde musical à un large public moins enclin à la découverte à l’époque anté-internet, Nougaro a très tôt côtoyé voire découvert des références dans le cercle parfois fermé du jazz : Maurice Vander, Pierre Michelot, Bernard Lubat, Eddy Louiss, Michel Portal, Aldo Romano, Daniel Goyone. Richard Galliano, Didier Lockwood, Philippe Saisse, Jean-Marie Ecay, Marc Berthoumieux, Louis Winsberg…

Il nous manque Claude, mais de voir comment le projet d’Yvan et Louis ravive les souvenirs des ainés (Cabrel, Dutronc) et inspire la jeune génération (Anne Sila, Bigflo et Oli), nous prouve que sa mémoire est bien vivante, que son héritage est bien là, que personne ne l’oubliera.
« Le cinéma » et cette sobre interprétation avec un peu de trompette débute l’album. Le duo avec Francis Cabrel sur « Cécile, ma fille » redonne encore plus de relief au texte. Le phrasé si singulier de Cabrel exprime différemment toute la douceur des mots. « La pluie fait des claquettes », le « Jazz et la Java », « A bout de souffle » sont tous interprétés avec la même tempérance respectueuse, presque de la retenue, et même si la guitare, qui est bien plus qu’un support rythmique et mélodique accomplit l’exploit de remplacer tout un orchestre, ce n’est jamais excessif, c’est harmonieux, subtilement dosé et délicieusement musical. Jean-Marie Ecay qui a longtemps accompagné Claude Nougaro sur scène, donne un côté bluesy plus électrique au titre « Les Don Juan ».
« Armstrong » version manouche 100% guitare, on le doit à la patte Thomas Dutronc flanqué de son fidèle Rocky Gresset.
Avec Anne Sila au chant et au violoncelle, « Rimes » est un des plus beaux duos de l’album et propose une relecture d’une grande élégance à la très belle mélodie d’Aldo Romano.
« Toulouse » clôture l’enregistrement guitare, trompette et… slam. L’ode à la ville rose se mue en épitaphe moderne par le flot de Oli et Bigflo (et moi aussi, je fais des rimes !).
La boucle est bouclée et cette version 2.0 de « Toulouse » par les frères rappeurs toulousains c’est le symbole d’un héritage toujours ardant, tel le feu que Claude a si bien chanté sur les notes frottées par… Louis Winsberg.
Cet album, avec ce point d’orgue « Toulouse », hommage à une ville, à un esprit, à une religion, celle du rugby, désormais hommage à Nougaro résonne dans les cœurs de toutes les générations et fait du bien à tous les amoureux du beau.