par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.
South Town Jazz festival, samedi 30 mars 2019.
J’ai beaucoup écouté Erroll Garner à une certaine époque mais, le temps passant, j’avais perdu sa trace. Il faut dire qu’il a disparu depuis plus de 40 ans, victime d’un cancer du poumon à 55 ans seulement. Et, peut-être à cause de son style particulier, il ne fait pas partie des musiciens les plus repris, alors que son mythique « Misty » est un des titres les plus universels. En France un pianiste s’est penché sur son œuvre et en a fait un projet, Pierre Christophe, accessoirement prix Django Reinhardt 2007 en tant que musicien français de l’année.
C’est lui qui est ce soir en quartet à la quatrième soirée du South Town festival. Raphaël Dever s’occupe de la grand-mère, la contrebasse pour ceux qui l’ignorent. Lui n’a pas – encore – de prix Django Reinhardt mais dans le film récent dédié au guitariste il tient le rôle du contrebassiste. Pas un hasard car il est excellent.
Laurent Bataille est à la batterie ; le néo titulaire de la chaire de percussions du Conservatoire de Bordeaux est un des grands spécialistes français de l’instrument, musicien, professeur, journaliste à Batteur Magazine…
Jusque-là tout est normal, piano, contrebasse, batterie, du classique mais un élément vient rajouter de l’épice à cette recette traditionnelle, la présence de congas. Quand en plus c’est Julie Saury qui s’y colle, la première musicienne du festival en quatre jours, cela devient une attraction. Mais dès les premières mesures je comprends leur présence, j’avais oublié leur apport dans la musique de Garner, ce fond de mambo, ce contraste permanent et en même temps cette complémentarité entre la batterie souvent légère, les balais, et ces chaudes percussions. Julie on la connaît surtout aux baguettes, on la découvre – enfin moi et d’autres – à main nue : parfaite !
Le jazz d’Erroll Garner est reconnaissable entre mille, dans sa structure et dans l’utilisation du piano. Ici c’est lui qui domine, pas de chorus de contrebasse ou de solo de batterie, elles sont là pour servir le piano, pour assurer la rythmique. Le son d’Erroll Garner c’est cette main droite volubile, cette main gauche marquée et surtout la résonance de l’instrument – il n’aurait pas pu jouer sur un piano électrique – que les harmonies provoquent, le piano chante, même le triste devient gai. Pierre Christophe le restitue parfaitement.
Une seule chose me manque, les grognements d’Erroll, mais on est dans l’hommage pas dans la singerie. Pierre Christophe, parfait virtuose, joue dans l’esprit du maître qui innovait à son époque en osant des accords audacieux, des harmonies faussement dissonantes, qui s’amusait surtout et ne savait pas lire la musique. Citons « Tea for Two » cette scie trop jouée qui ici avec les arrangements de Garner prend une autre dimension, commencée par du presque free, avant l’heure, et poursuivie en mambo, géniale version.
Que dire du morceau de Dvorak « Humoresque » que Garner avait adapté pour en faire un de ses tubes ! Ici un début faussement chaotique pour retrouver la mélodie alerte sur une rythmique parfaite. « Misty » bien sûr, obligatoire, truffée de citations au piano, une des spécialités de Pierre Christophe qui pourrait en faire un quizz, « 7-11 Jump » au galop… Tout cela est en place, un régal.
Une petite fausse note tout de même, une seule, en remerciant l’organisation du festival et surtout son programmateur Guillaume Nouaux, Pierre Christophe a eu la maladresse d’ajouter que « quand c’est un musicien qui assure la programmation on voit la différence » ce qui a eu le don de nous réjouir avec plusieurs amis organisateurs de festivals présents dans la salle… Et pour les connaître croyez-moi qu’ils sont très loin de démériter ! * Mais tout cela n’enlève rien à l’extrême qualité de ce concert. Merci de continuer à faire vivre ce pianiste atypique, même sans les grognements.
Et bien sûr en pré concert la CHAM de Soustons, classe de 4ème, sont venus animer le hall de la salle, la relève !
On se régale vraiment au South Town festival !
* renseignements pris, suite à la parution de cet article, étaient visées les grosses machines festivalières où le jazz se fait tailler des croupières par de la variété jazzy ou même pas…
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