Quatrième jour du festival en ce vendredi à la météo incertaine et premier rendez-vous en fin de matinée au jardin public pour un apéro-swing annonce le programme ; sans apéro ni swing d’ailleurs ! Le swing ce n’est pas le genre de la maison de Robin & the Woods !
Heureux à Action Jazz de retrouver nos lauréats du tremplin 2018 ainsi que du prix FIP, le partenariat avec le festival n’est pas une vue de l’esprit, il est bien réel. Nos cinq lascars sont tendus, eux aussi sortent d’une diète musicale forcée et le retour aux affaires ne se fait pas sans une petite appréhension. Ils ont pourtant déjà du métier nos jeunes anciens du Conservatoire de Bordeaux ayant même déjà fait une tournée en Chine… en juin 2019 bien avant l’apocalypse. Leur musique basée sur de longues suites dans lesquelles ils libèrent leurs envies, leur énergie, a pris de l’épaisseur.
Dans leurs compositions originales, toujours ces références à ce jazz rock progressif des 70’s, celui de ma jeunesse et qu’eux pourtant n’ont pas connu, Soft Machine, King Crimson… au service de leur propre créativité.
Une brillante prestation de Robin Jolivet (g), Jérôme Mascotto (sax), Alex Aguilera (fl), Alexis Cadeillan (b) et Nico Girardi (bat). Et un album à venir, tant mieux.
Un orage viendra rafraîchir l’atmosphère, à peine, mais surtout empêchant la déambulation du Cyclos Swing en front de mer. Un océan déchaîné ce soir les vagues venant plus que lécher les pieds des convives attablés en première ligne ! Des repas bien arrosés pour certains mais pas comme prévu…
Quel plaisir partagé que de se retrouver le soir au Ph’Art, la salle du casino, certes masqués, hydro-alcoolisés, distanciés mais pour un spectacle vivant. Quel bonheur d’avoir le droit d’être sur scène nous confie Rémi Panossian après son premier titre. Il est là en trio à l’invitation de Bernard Labat mais pas par hasard, son talent certes, mais aussi son histoire dans ce festival qui l’a révélé en 2004 l’y faisant animer ensuite des masterclass auprès de Christian Nogaro le créateur de cet évènement. La trentième édition est dédiée à ce dernier trop tôt disparu en 2014.
Ce trio RP3 n’a pas bougé en onze ans, Rémi au piano bien sûr, Maxime Delporte à la contrebasse et Frédéric Petitprez à la batterie et ça va vite se sentir aussi bien dans la cohésion musicale que dans la complicité, l’aisance et l’humour ! Du beau jazz et joué gaiement en plus, ce n’est pas toujours le cas. Autant le dire tout de suite, certains trios de jazz, piano, contrebasse, batterie m’emm… profondément. Le schéma «thème, chorus à tour de rôle, thème » ou l’autre du style « tous derrière (la rythmique) et lui devant (le piano)» peuvent parfois me lasser. Ici rien de cela ou très peu, la forme est chamboulée, la musique jaillit de partout en même temps dans une unité loin des déviances free.
Les thèmes se construisent à trois, truffés de rebondissements, de surprises, de fulgurances bien speed. On ne s’ennuie jamais, même dans les fines ballades où les trois guerriers se font délicats, le piano coule, la contrebasse bourdonne, la batterie murmure… Mais les instincts de liberté, de rythme reviennent vite, nous voilà repartis cers des courses faussement folles à travers les notes, les breaks tombent – mais comment font-ils ? – le groove s’accélère, on part vers du hard jazz et tout ça dans la bonne humeur. Quel pianiste que ce Rémi Panossian, volubile mais pas frimeur, chaleureux et inspiré dans son toucher, puissant dans ses ostinatos, extravagant dans ses croisés de mains.
Quel contrebassiste que ce Maxime Delporte, avec ce son rond et enveloppant, toujours boisé jamais métallique, aussi à l’aise rythmiquement que mélodiquement.
Quel batteur que ce Fred Petitprez, avec ce petit grain de folie, ses cris, son drumming sec et précis et ce solo d’un autre monde.
Ils nous ont joué le dernier album « In Odd We Trust » qui est une pure merveille, sorti juste avant cette horreur d’épidémie, et que sur scène ils ont transcendé après ces longs mois de frustration et toute cette envie accumulée ; une tournée dans le monde entier annulée pour eux… Et qu’ils sont heureux quand on les rencontre à la pause !
Un concert exceptionnel dans une très élégante lumière mordorée .
Deuxième partie totalement différente, dans l’univers et dans la forme musicale. Le festival accueille la saxophoniste allemande Nora Kamm avec son projet Triba très cosmopolite : Joran Cariou (claviers), Ranto An’i Avo Kakotomalala (basse), Dharil Esso (batterie), Inor Sotolongo (percus). Une femme en tête d’affiche, tout comme le lendemain soir, c’est à signaler en ces temps de remise en question.
Cosmopolite pour les artistes, pour les influences aussi. Nous allons naviguer entre les styles afro-beat, afro-cubains, faire des incursions vers Weather Report, Nora le revendique ainsi que son admiration pour Wayne Shorter. Devant une telle rythmique cette jeune femme a du cran d’imposer son sax alto car ça ronfle grave derrière !
Elle laisse partir en liberté son instrument avec un phrasé très rythmé et une grande volubilité. Elle pourrait mettre encore plus de folie avec un micro HF pour laisser libre cours à son envie évidente de danser. Elle s’enflammera tout de même en délaissant le micro fixe pour des duels avec ses percussionnistes.
Ino Sotolongo n’est pas n’importe qui mais en la personne du jeune Dharil Esso il a trouvé à qui parler.
Ce dernier a en effet imposé un beat ahurissant – trop pour certains de mes amis puristes du genre – secondé par un bassiste surpuissant.
Quand Nora prendra son soprano, que Joran Cariou pianotera sur le synthé et que Ranto balayera le manche de sa basse on ne pourra que penser immédiatement à Weather Report, un des précurseurs de la fusion dans le jazz.
Le concert aura mis du temps à décoller pourtant, public clairsemé, jauge limitée oblige –mais pas que – masque conseillé, distanciation, ce qui fera regretter à Bernard Labat de ne pas l’avoir programmé en plein air pour une clôture festive. Rien à te reprocher mon ami, tu nous as fait découvrir une sacré saxophoniste, pleine de fraîcheur dans ses interventions parlées et qu’on va désormais suivre de près !
Il est près de une heure du matin, la très haute marée s’est retirée, tout à l’heure sera un autre jour, le cinquième du festival. Que ces mots semblent irréels…