Par Philippe Desmond.

La semaine passe à une vitesse folle, un rêve éveillé que de retrouver un festival de jazz !

Les premières notes de clarinette et de guitare résonnent dans les rues de Capbreton à l’heure du marché, voilà le Cyclos Swing avec Mary Estrade et Marco, étrange équipage d’un autre temps, le passé et pourquoi pas le futur : les vélos… 

C’est gai, ça provoque des sourires et en les suivant nous voilà à nouveau au jardin public pour un pique-nique jazz avec Perry Gordon and his Rhythm Club. Ce concert a attiré du monde, pas forcément avec le panier de vivres, et même France 2 qui va faire un direct pendant le 13 heures, Capbreton étant devenu un phénomène national en maintenant son festival !

Nos musiciens old school sont là, encore plus dans la tradition que d’habitude, entièrement en acoustique, même pas un micro mais un vieux mégaphone en cuivre. Perry Gordon (cornet et voix), Denis Girault (clarinette), Florian Mellin (guitare Dobro), Nicolas Dubouchet (contrebasse) et Francis Gonzales (batterie) et son énoooorme grosse caisse.

En fermant les yeux on croirait entendre un vieux 78 tours sur un gramophone et cette musique d’un autre temps va attirer beaucoup de monde toujours friand de ce jazz finalement intemporel. Du jazz bien vivant, alerte et grâce à eux particulièrement bien joué. Quand Mary Estrade descendra de son cyclo swing pour venir tirer la bourre à la clarinette les vivas redoubleront. Un très très bon moment à l’ombre des arbres , saucisson et verre(s) de vin par-dessus le marché.

Après la sieste, le Swing 64 de Sébastien Lafargue (g), Stéphane Martens (g), Django Wards (cb, voc) et en invité Stéphane Barbier (sax) réveillera l’esplanade de l’estacade avec en fond sonore le grondement de la  très grosse marée montante et des vagues mutines arrosant les touristes. Bel attroupement autour des musiciens qui malheureusement se dispersera quand on passera au concert du soir au Ph’Art…

Pourtant il y a encore ce soir un beau programme. Le Iep quartet de Sébastien Arruti avec un quatuor à cordes en première partie puis le concert « Flûte Poésie » d’Emilie Calmé. Il nous faudra remonter le moral de Bernard Labat dépité par le peu d’engouement du « public jazz » de la région qui rumine la suppression des concerts et des festivals mais ne se déplace pas quand des organisateurs se sont battus pour les maintenir. Vraiment surprenant et très décevant pour les artistes – et techniciens – tous tellement heureux et émus de retrouver le public, ou ce qu’il en reste. C’est dit.

C’est la troisième fois que j’assiste au concert de Iep 4tet + strings (ce dernier mots vous vous en doutez ayant fait l’objet de beaucoup de plaisanteries douteuses) créé au festival Jazz à Caudéran en 2018 puis repris en juillet 2019 à Andernos. Et s’il est vrai que la forme peut désarçonner au départ, l’œuvre – car il s’agit bien de cela – se fait merveilleuse avec l’habitude. Autour du quartet et de son répertoire original Iep a réarrangé des titres et composé d’autres en intégrant cette douce présence des cordes en contrepoint de la puissance du trombone, de la batterie, de la contrebasse et du sax , baryton principalement. Une octet au final presque paritaire ! Mélanger jazz et classique comme aimait le faire le créateur de ce festival, Christian Nogaro, à qui Iep rendra hommage.  Les codes du classique sont repris en enchaînant les mouvements des différentes suites, les musiques se croisent, se complètent, s’assemblent, les univers se mélangent, c’est très beau, plein d’émotion, les absents ont eu tort. Un hommage en plus ce soir à Ennio Morricone et un final Iep et les seules cordes pour un poignant Alabama de Coltrane.

Sébastien Iep Arruti (tb), Alain Coyral (sb, ss), Didier Ottaviani (bat), Timo Metzemakers (cb), Emmanuelle Faure (violoncelle), Dorra Saadi et Jean-Christophe Morel (violon) Marie-Laure Prioleau (violon alto)

Encore une fois ce soir les musiciens soulignent leur joie de retrouver la scène et Iep est particulièrement ému quand il en parle. Pensons que ces hommes et ces femmes vivent un enfer dont ils ne voient pas encore la fin malgré des lueurs comme ce soir. Nous nous sommes sentis inutiles confiera Sébastien la gorge nouée.

Encore une tête d’affiche féminine, quel tact dans la programmation ce Bernard Labat ! Voilà Emilie Calmé et sa « Flûte Poésie ». Laurent Maur est là, bien sûr, avec son harmonica (le premier à finir de ranger son matériel en fin de concert) et une légende est assise au piano, Alain Jean-Marie. Quand on sait qu’à la rythmique officient Gilles Naturel (cb) et Philippe Soirat (bat), il ne reste plus qu’à s’enfoncer dans son fauteuil et déguster. Poésie, maître mot, l’autre étant élégance. Cette touche de classe donnée par la flûte (aussi bien jouée) qui s’encanaille un peu avec le populaire harmonica (mais qu’il est bon ce Laurent Maur !), par le magnifique port d’Emilie Calmé dans sa veste rutilante transporte le jazz vers un autre univers, oserais-je dire féminin sans me faire traiter de tout… John Coltrane, Horace Silver sont invités sur scène parmi les compositions d’Emilie, Laurent et Alain Jean-Marie (une bien jolie sérénade jouée en piano-flûte). Douceur  du bansouri sur une rythmique de dentelle de Gilles et Philippe, fulgurances enjouées de la flûte avec l’harmonica sur des tempos plus musclés et des tapis rythmiques de piano, voilà l’invention d’un autre jazz que tant de gens devraient oser découvrir ! Les absents ont vraiment eu tort ce soir.

Encore un jour à tenir ? Non, malheureusement plus qu’un jour de bonheur.