Par Dom Imonk

Parue le 01 janvier 2015 dans la Gazette Bleue N° 8

SAMY THIEBAULT QUARTET A FEAST OF FRIENDS

La Californie est une terre fascinante, mais la faille de San Andreas laisse ses sols en sursis, et fonde un peu l’urgence dans laquelle on y vit. C’est surement pour ça qu’en matière d’art, et de musique en particulier, les idées nouvelles y ont souvent bouillonné. Ainsi, au cœur des sixties, une forte « tectonique des plaques sonores » a commencé à mêler le rock, déjà porteur d’aventure, à des terreaux à forte teneur psychédélique et libertaire. Philosophie et spiritualité trouvèrent place pour amender ces fusions nouvelles, de même que l’esprit d’un jazz novateur, chez certains musiciens.
Beaucoup de grands artistes ont participé à ce séisme, comme Tim Buckley, The Grateful Dead et The Doors. Ces derniers eurent tôt fait de conquérir la planète, menés par Jim Morrison, chanteur poète visionnaire et provocateur allumé. Une comète fulgurante, partie bien trop vite en 1971.
The Doors ont touché plusieurs générations, et sont devenus cultes pour foule de disciples. Samy Thiébault en est un et l’on apprend que ce groupe l’a profondément marqué, à l’époque où il s’éveillait à la littérature, et étudiait philosophie et musique. On évoque aussi la passion du batteur John Densmore pour John Coltrane, ce qui a bien plus tard incité notre saxophoniste, coltranien d’âme, à replonger dans l’univers de son groupe fétiche.
Ainsi, après quatre albums très bien accueillis, dont les ambitieux « Upanishad Experiences » et « Clear Fire », le voici de retour, avec un « A feast of friends », plein à craquer, hommage aux Doors et à Jim Morrison. Ce titre d’album, c’est aussi celui d’un émouvant morceau tiré de « An American Prayer ».
Pari ambitieux pour Samy Thiébault qui a réuni autour de lui un quartet d’amis fidèles, musiciens fort talentueux, et ouverts à de telles expériences. Avec Adrien Chicot (piano, Fender Rhodes, effets sonores), Sylvain Romano (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie), plus Nathan Willcocks, invité à poser sa voix troublante sur quelques interludes, il savait que les idées allaient circuler et scintiller comme des feux follets.
Près de la moitié des titres sont des Doors, mais ce n’est pas un simple « revival ». Dès les premières notes de « Riders on the storm », on est aspiré par un groove qui s’envole, flûte et sax aux commandes, le Fender Rhodes en garde rapprochée et le tandem contrebasse/batterie très affuté, avec la précise souplesse qui drivait les musiques des films et séries californiennes des années 70. Cette pulse élégante, la reconstruction jazz des thèmes des Doors, leur donne une autre vie et les booste, mais en préservant les jaillissements originels de liberté et d’esthétique neuve. Sous des éclairages variant à chaque fois, on retrouvera cet éclat dans les autres reprises, « Light my fire », « People are strange », « The crystal ship » etc… Les morceaux signés par le leader confirment ses talents de compositeur et d’arrangeur. Ils complètent à merveille les reprises, et on repasse en boucle « Telluric Movements », « Blue Words » et « Hara ». Les envolées de Samy Thiébault (sax ténor, flûte, darbouka) sont magnifiques et on les sent murir et aller de plus en plus loin, comme pour atteindre spirituellement l’âme de Jim Morrison. En cette quête, il est soutenu par un groupe en tous points épatant. Une impression africaine est aussi ressentie sur « Invocation » et sur le somptueux « Tribal dance » qui clôt l’album, où le jeu du saxophoniste n’est pas sans rappeler le souffle éthiopique d’un Getatchew Mekurya. Conclusion superbe, un peu comme un cheminement en plein désert, sur les traces de Théodore Monod…

Par Domimonk

http://www.samythiebault.com/

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