Par Anne Maurellet

Festival Respire Jazz, dimanche 21 juillet 2019

Samuel Tessier quartet

Samuel Tessier, guitare

Clément Simon, piano

Tom Peyron, batterie

Gabriel Midon, contrebasse

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On les retrouve avec un plaisir non dissimulé les primés du Tremplin action jazz 2019 au rocher de Palmer à Bordeaux. Ici, c’est Respire Jazz : ça transpire la botte de foin dans la grange juste aménagée pour protéger des assauts du soleil, mais la lumière est à l’intérieur, vous vous en doutez !

Avec The Path, l’entrée en matière est progressive, la guitare fine devient volubile, le piano s’envole.

Seven amène un swing discrètement affirmé, c’est peut-être ça la marque de fabrique de Samuel Tessier, le Pat Methenyen…Le pianiste Clément Simon danse sur le piano, virevoltant. C’est une balade.

Crystal Island amplifie le son, la guitare devient orgue, on hésite entre une légère brise qui vous caresserait l’oreille et une vaguelette chatouillant de son écume, avec délice, les chevilles aventureuses. La contrebasse y apporte une belle inquiétude, courant imprévu, toujours précis, tendu.

Bon swing pour la ballade Blues on the spot, le pianiste à la main droite seulement enrichit le tempo ; Tom Peyron, le batteur sûr, lui répond par un jeu fluide.

Un bel accompagnement au piano pour cette randonnée, Hiking, sur des plateaux aux herbes juste vertes. Samuel est un promeneur attentif aux sons les plus subtils ou les plus simples qu’il veut conjuguer au gré du chemin. Le piano a choisi la piste de traverse et pousse le guitariste dans ses retranchements ; une myriade de couleurs jaillit, fleurs de toutes formes. On est plus près de pierres ciselées que d’éclat de roche.

Cao’s Party rend hommage à un jeune jazzman de leurs amis : ça ne nous étonne pas ! Très centré sur le jeu de la guitare , les autres le suivent, mais le pianiste Clément Simon re-compose et (même si les débuts sont un peu classiques) s’échappe avec de belles sorties.

Avec Praise, on verrait bien une pointe de mysticisme dans ces notes toutes travaillées pour en extraire une belle transparence, façon diamant. C’est un quartet en route !

Et pour finir, en rappel, Green Man, un swing bien sexy aux variations buggy. Le piano rend la pareille à la guitare, soutenu par une batterie et une contrebasse très efficaces. Les quatre dans une joyeuse légèreté.

Ils ont le sens de l’émerveillement pour la chose ordinaire et ça fera peut-être leur marque à l’avenir…

W. Knobs

David Fettmann, saxophones

Julien Jolly, batterie

Sébastien Maire, basse électrique

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You said it (Bloomdaddies) : cherchez l’effet : détourner ou retourner le saxophone, amplifier, dédoubler, déplacer les sons. Intéressant, non ? Créer autour d’une pulsion pop.

Pour Slave (Sébastien Maire), l’instrument devient un boa qui vous enserre : vous sentez ses écailles glisser sur votre peau – constricteur…

Sweet Adeline (Sébastien Maire) : traits, portrait à pas feutrés pour commencer, mais le zoom en dessine la double face : douceur et aussi caractère bien trempé par moments !

Avec Free birds (David Fettmann), c’est un saxo irrité, le revendiquant, basse et batterie plutôt en pulsion. Tour à tour amplifié pour appuyer son pépiement puis sans effet, comme un rappel des possibles, à nu.

Abac (S. Maire) La métaphore, c’est ce dédoublement répété, comme une schizophrénie David Fettmann ne semble pas vouloir laisser l’un pour l’autre.

La basse solo en fera de même dans Someone looking back (S. Maire). Mise en abîme constante du son, écho permanent du ressenti ; c’est simple, ça interroge… Sensation à fleur d’idées. Limite fait pour la méditation ; pleine conscience, pas sûr !

Valse lente, valse triste, le saxo retrouve des accents plus classiques pour cette lamentation Yellow Snow (S. Maire), à l’accompagnement plutôt…rock !

Jawad (S. Maire), un jazz électro, saturant les sons pour en trouver la légitimité ? La basse de Sébastien Maire est sûre, en accord avec le saxo, altéré pour en extraire une musique actuelle, excédée ; pulsion exigeante, insatisfaite.

On termine par Unchained (S. Maire), un pop/rock/électro, jazz entêté, étendu, écartelé, mais c’est loin d’être un supplice : c’est un jazz du fin fond…du présent !

Meta

Meta, Voix et percussions

Stéphane Guillaume, saxophones et flûte

Pierre de Bethmann, piano

Simon Tailleu, contrebasse

Michael Felberbaum, guitare

Karl Jannuska, batterie

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Entrée envoûtante dans un univers poétique. La flûte traversière accompagne la condamnation du paraître, du vouloir être aimé de tous. Stéphane Guillaume et Meta chantent ensemble : voix et instrument, même combat. Le piano de Pierre, entraîné par une batterie et une contrebasse tonitruante enlève le tempo. « Ta vie, ton histoire », est-ce une course au paraître ? Etre aimé de tous : quel sens ?

Piano et flûte viennent ensuite se marier : belles et délicates notes, Meta reprend la langue anglaise : voix et percu, contrebasse en renfort puissante. Meta entraîne vers un monde onirique, nous enveloppant et pourtant le nôtre. Prendre conscience du moment qu’il remplit de sa beauté. Le guitariste, assis sur le côté pour ce morceau, n’attend pas : les paumes vers le ciel, il médite. Ressentir l’instant, restituer sa poésie, sa profondeur, sa légèreté, rappeler le temps au temps.

Saxo joyeux et sensible, pour le groove qui suit. Les musiciens sont puissants, mais la voix de Meta conduit l’attelage. Les chevaux sont lancés, guitare au superbe bavardage funky.

Nous avons embarqué pour un drôle de voyage dans des contrées si lointaines et si proches, « il suffirait » de peu. Somptueuse guitare à nouveau, qui attrape les rythmes orientaux des percu de Meta. Chanter la vérité, la réalité, la sincérité. Un brin de jouvence. Méta, c’est l’espoir dans le présent… grâce à une douce transe, la volonté de ressentir.

Nouvelles fiançailles de la voix et du saxo, piano et guitare suivent pour donner encore plus de poids et de gravité à la quête du chanteur. Chercher au plus profond de sa mémoire, le saxo manifeste la même traversée pour « être ».

Saxo soprano, piano et percu s’allient pour servir à nouveau la voix, expression de la volonté d’exister en lucidité. La musique prolonge ainsi la parole, pour la traduire, pour s’unir ainsi sans doute, autres voix sans mots, expressions eux aussi des identités, des sensibilités. Vecteurs d’âme.

La voix amplifiée, dédoublée pour faire choeur et réveiller les rites ou les chants ancestraux. On sent les racines nous pousser au bout des pieds ou au fond de la tête ; le passage, les générations : profond. Puissant. Inspiré… Meta, a capella, rien autour et pourtant, tout dedans…

La guitare suit les accents cuivrés ici et la flûte le rejoint.

Et in fine, la voix de Meta sortie de la haute spiritualité ou du fond de nos origines.

André Minvielle en solo, voix et percussions pour le Bo vélo de Babel

Le troubadour des temps d’aujourd’hui : tambour contre l’oreille. C’est parti. On voyage. Dès les premiers coups. Les babillages de Minvielle envolent vers le Boléro, une parole espérantiste, oui, Babel ; les langues mixées, la mixité du monde, c’est un manifeste à lui tout seul. Rythm and « loose » qu’il dirait. Non, c’est du génie, celui de la création faite vie.

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On passe au jazz franc-comtois…

Un seul tac-tac et la farandole des mots s’élance : foutraque brillant, la poésie en mouvement, jazziforme, versification du quotidien, poésie des petits gestes, au rythme du jazz.

Bien sûr, la liste est à la Prévert, mais rien au hasard.

Mettez-vous au premier rang : ses yeux pétillent et agissent vite.

Appuyé sur le micro, il fait crisser un vrai béret qui devient tambour grésillant. « Travailler, c’est ouah », dit-il. Et déploie les sons créant une meute.

Béarnais de Sao Paulo… avec peu, il fait beaucoup. Béret sur tambour tout de même, la magie opère, le béret ponctue le rythme, eh oui !… et on est partis en pays d’invention, dans le monde de l’imaginaire : le béret est décliné au gré de son histoire.

Il revient au « facteur d’accent », pour cela les mains sur un plastique pour faire chanter autrement la percu. Enchanter l’ordinaire, lui renvoyer sa poésie. Troubadour ? Trouvère.

Existant, en Occitan : deux cailloux tapés l’un contre l’autre, et un sac plastique bien sûr… tapoter les uns contre les autres ; la Babel attitude fait chanter les mots, caillasser les a priori et en-chanter par une nouvelle ritournelle.

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Il suffit d’avancer en se déhanchant entre les mots, entrechoquant en douceur les assonances et les allitérations sans en comprendre le sens. Juste le sens de la poésie.

C’est un conteur aussi quand il parle Minvielle, j’allais écrire notre Minvielle, celui qui rappelle à la langue sa richesse, son histoire, son melting pot.

Prendre dans les racines – la famille – même l’essoufflement du papy Paul devient vite terre-air-feu. « Musique populaire expérimentale », dit-il, évidemment… et le son parti du presque rien fait du grand quelque chose, un chant béarnais ? La richesse virevoltante des borborygmes, amplifiés, échoïfiés ; logorrhée rythmique, la famille intégrée, l’histoire des gens mise en création.

Troubadour oui, jongleur des mots aussi. Tout à la FOI : OGM, « organismes généreusement modifiables ». Minvielle branche une brindille en plastique et crée un petit filet d’eau imaginaire où le poisson s’agite. Une baleine passe dans le ciel, pas besoin de se retirer, on la sent.

Comment partir de la connaissance, et l’entraîner vers la sensation, les émotions. Le jeu, la musique : Isidore Ducasse, comte de Lautréamont a passé deux ans à Pau, a rencontré Bernadette Soubirou. Lire sous influence et ça donne, bouteille et percussion, chant, une incantation joyeuse. Amis de la poésie, rêveurs, créateurs, bienvenue. Entrez dans ce pays. Pensez toujours à revendiquer « l’étrangénité ». Faire naître les images des sons superposés, conter la musique des mots.

Et pour défendre la Terre que nous détruisons, quoi de plus puissant que de défendre un vers de terre qui la nourrit : c’est le Verbier de Minvielle…

Et quelques onomatopées pour finir font encore musique, quand on a dans le sang et le cerveau la musique de la vie, le respect des Petits, et que l’on monte vers ça, la beauté du monde dans ces moindres détails.

« Et le gascon est la langue du jazz » ponctue-t-il !