Chroniques Marciennes 5.1                                                       Astrada de Marciac / 27 Juillet 2019

Texte:  Annie Robert

Boris Johnson ayant déjà fait des siennes ( enfin peut être?) le groupe Mamals Hands, attendu en première partie ce soir se retrouve coincé à l’aéroport de Londres par une grève. Ce sont donc les toulousains de Host qui ,au pied levé, le remplacent. Et ma foi, on ne va pas s’en plaindre vraiment. On passe d’une certitude déjà bien connue à une solide découverte.
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C’est à un jazz équilibré, tonique, mélodique, parfois élégant, parfois énervé auquel nous avons à faire avec Host ; un jazz voyageur également qui navigue des froids clairs, âpres et profonds de la Norvège ( le nom du groupe, les couleurs dont il se revendique et les titres des morceaux) aux fraîches et vertes vallées des Pyrénées. Les deux hipsters de la section rythmique ( Pierre Terisse à la basse et Théo Teboul à la batterie ) assurent avec sérieux et jubilation un tempo rebondissant ou grevé de ruptures. Le son boisé, plein de clarté chantante du sax soprano de Carla Gaudré fait défiler le déploiement du jour. Les pas ou les noires envolées de la guitare rock ou les accords blues de la huit cordes d’un Dorian Dutech, absolument remarquable accompagnent les revers et les questionnements. L’inspiration circule de la ballade rassurante et chaude, au Dieu-ours rock en diable, des lames de foehn à la sauvagerie grinçante. Ça feule et ça chante. Le groupe est vraiment intéressant, chercheur de sons et d’ambiances. Parfois il se perd un peu dans l’excès des machines ( ah ces musiciens dont on ne voit que le haut du crane, penchés qu’ils sont sur les pédales…) et les bidouillages sonores qui n’apportent pas toujours un «plus» serré et évident ( mais parfois oui…). Une pointe d’équilibre entre les co-leaders ( mais c’est juste une impression) est encore à trouver sans doute, entre un très beau sax mais plutôt d’inspiration classique, et une guitare très libérée pour que le groupe soit au top.Mais je pinaille, juste pour le plaisir car ces jeunes gens en ont grave sous la pédale. Ils devraient continuer à nous réjouir de leurs nordiques équipées dans un prochain CD et leur présence ce soir, bien que fortuite est une belle découverte…On va dire merci à Boris Johnson ( qui n’y est peut être pour rien…) et aux aléas de la politique britannique.

Quelques instant de changement de plateau, et voici une entrée en matière déconcertante, fracassante pour le moins. Le groupe de Donny McCaslin est en train de balancer en direct. Pas moins. « Un peu de son ici, un peu de basse dans les retours, please  ». Le concert est il commencé ou pas, on n’en sait rien. Il se passe quoi ? Chacun se hâte de regagner sa place.

Il ne s’agit pas d’en rater une miette car après une carrière de plus de vingt ans, douze albums et une participation à Blackstar, l’ultime album de David Bowie, le saxophoniste californien Donny McCaslin est à Marciac pour la première fois avec son projet intitulé Blow.  Autant dire que l’on ne s’attend pas à du son policé, du sage et de l’angélique. On connaît ses influences. Et on ne va pas être déçu ! Le groupe envoie du lourd, du rock, du furieux, de l’engagé, de l’électrique et du chaos. Comme on dit chez les Tontons flingueurs « c’est du brutal!! ». Même la voix de Jeff Taylor au tee shirt aussi vert que sa guitare n’est pas là pour faire dans le joli et le gracile, elle crache plus qu’elle n’envoûte. Elle s’arrache plus qu’elle ne respire.

Des moments font cependant voir plus large, plus calme. La qualité délicate du sax s’exprime alors dans des relances contrastées, des grandes brassées d’eau, des langues de terre découverte, en suspens aussitôt. Avec un duo basse ( Tim Lefebvre incroyablement mélodique et puissant) et batterie ( Zach Danziger, accrocheur, pugnace et inventif) à l’écoute, la marche en avant, la fureur et le bruit, les accents de free se faufilent, font une trouée, écartent les vannes des eaux du rock. Il n’y a ni repos ni quiétude et pas de certitudes non plus. Donny McCaslin est un Roland furieux, rugissant dans son cor, combat et hargne mêlés. Pas de désespoir pour autant mais de la vitalité, de la joie, de la brillance sans cliquant. On oscille entre groupe de rock ( il parle en effet de chanson ) et groupe de jazz /pop avec des impros frénétiques et facétieuses, entre reprises et compositions personnelles. On ne sait jamais sur quel pied danser. « Ecoutez ma voix, je suis de la pop. Ecoutez mes guitares, je suis du rock. Ecoutez mes impros cuivrées, je suis du jazz.Tirez donc cette ficelle et en voici une autre, découvrez cette couleur et voici une nouvelle chatoyance..»  Il y a quelque chose de la transe décibélienne ( j’ai mis mes bouchons..) qui force les résistances avec des fenêtres ouvertes et refermées, des contre-pied et de l’étonnement. La pelote est dense, nerveuse et fascinante.
Des olibrius, des iconoclastes, des briseurs de sons, des découvreurs de passerelles, ces quatre là. Une musique au-delà des stéréotypes et des cases
qui remue et dérange. Qui ne laisse en tous cas pas indifférent.
Un rappel en duo basse et saxophone d’une douceur apaisée, déploiera tout une panel d’émotion cuivrée, résonnant dans les accents vitaux des cordes, d’une beauté à pleurer…
Quatre musiciens libres pour un concert bluffant, sidérant et transgenre !!