Par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.
Andernos Jazz Festival, dimanche 29 juillet 2018.
Troisième et dernière journée du festival de jazz d’Andernos avec une programmation du soir très alléchante.
Comme à Monségur en début de mois, j’ai encore raté la messe le matin, qui au dire d’Eric Coignat, le directeur du festival, était magnifique avec une quarantaine de chanteurs de Gospel du Bordeaux Mass Choir.
En préambule à la soirée c’est Clap qui est programmé sur l’esplanade de la jetée. Clap c’est un duo, dans lequel, comme le dit malicieusement son pianiste organiste Pierre Fabre, ils ont la particularité d’être deux. Le second est à la batterie, c’est Warren Lafrance.
Action Jazz les connaît car ils avaient obtenu le prix de la révélation au dernier tremplin en janvier. C’est même là qu’Eric Coignat les avait engagés pour le festival. Deux très jeunes musiciens talentueux qui ont déjà tout compris pour emballer le public avec un répertoire très varié allant du blues à Santana, en passant par Ray Charles, Prince, Herbie Hancock, Joe Zawinul, Miles Davis et même Deep Purple avec un « Smoke on the Water » bien arrangé. Du jazz ? Rappelons aux puristes que ce dernier titre raconte l’incendie de l’hôtel où était logé le groupe lors de leur passage il y a presque cinquante ans au festival de jazz de Montreux… Un son vintage de l’orgue et sa cabine Leslie, une rythmique puissante et marquée, des fantaisies, notamment une compo chantée amusante, une certaine malice de Pierre Fabre et un bon contact avec le public estival cueilli comme une fleur.
Maintenant, cornet de glace à la main, direction la plage du Betey pour l’événement baptisé « Jazz Légendes ». Deux concerts, Scott Hamilton, première légende, avec Champian Fulton, future légende puis Kenny Garrett légendaire lui aussi. Ca promet. D’ailleurs le site est déjà envahi plus d’une demi-heure avant le concert. Les sièges ? Le sable sur lequel nattes et nappes sont déployées, certains affairés à pique-niquer. Je ne sais pas si on voit ça ailleurs mais ici c’est de tradition. Scène adossée au Bassin, pour une fois rempli et donc les bateaux qui circulent encore – ici il faut bien viser – le ciel bleu, le soleil qui décline doucement – ce soir on est au sunset – et cette grande plage qui va s’avérer trop petite !
Voilà le grand Scott Hamilton, déjà venu ici dans le passé, pas si vieux que ça, un an de plus que moi, mais apparemment un peu diminué physiquement, accompagné de la pianiste chanteuse, ou l’inverse, Champian Fulton.
Le quartet (Steve Brown aux baguettes et Ignasi Gonzales à la contrebasse) va nous offrir un set de cool jazz d’une extrême élégance. Scott a toujours ce velouté au sax ténor qui en fait sa signature. Pas d’extravagance, c’est un euphémisme, un art des ballades certain , il y excelle, et un réel plaisir de jouer et d’écouter sa partenaire.
Il faut dire que Champian a tout pour elle. Excellente pianiste dans ce répertoire médium, n’hésitant pas à improviser tout en élégance et mélodie, elle chante merveilleusement bien. Récompensée d’un award en 2017 pour cela, elle chante tout en nuance, évoque Billie, Dinah. D’une grâce absolue, elle est radieuse derrière son clavier, s’intéressant de son regard bienveillant au public.
Rien de révolutionnaire là-dedans mais que ça fait du bien un peu de coolitude de temps en temps. Dans ce cadre et avec le coucher du soleil c’est un plaisir, même si le sable finit par être dur.
Changement de plateau et luxe suprême, Alain Claudien le maître artisan bordelais du piano (lire son portrait dans la Gazette Bleue #25, il est très intéressant) ré-accorde son Steinway & Sons de concert, qui, me dira t-il, n’avait quasiment pas bougé ; tout à l’oreille dans le brouhaha ambiant.
Place à Kenny Garrett. Backstage il est isolé de son groupe, alto et soprano en mains, très concentré alors que les autres sont relax. Détendu aux balances, il a pu paraître froid et distant avec le public*. Ordre aussi aux photographes officiels de ranger le matériel après les trois premiers titres, « sinon je m’en vais » ; les smartphones et photographes amateurs peuvent eux s’en donner à cœur joie tout le concert sans parler des captations vidéo de piètre qualité ; comprend qui peut…
Oubliée la première partie, on est dans un autre monde, la rythmique implacable ici, en témoigne. Très vite le premier chorus de l’excellent Vernell Brown secoue le piano qui résonnait encore du léger doigté de Champian.
La contrebasse paraît minuscule dans les bras de Corcoran Holet et donne tout ce qu’elle a, impeccable. Le sympathique Rudy Bird – il restera bavarder avec nous à l’issue du set – aux commandes d’une multitude d’accessoires de percussions invente des sons, des bruits et percute aussi, quant au batteur c’est une révélation. Figurez-vous que Samuel Laviso est français, de Guadeloupe. Famille de musiciens, Berklee College of Music, 22 ans, à surveiller de très près le jeune homme, il est monstrueux.
Et le boss ? Toujours aussi prolifique, amenant son alto d’une extrémité à l’autre avec ce balancement du corps habituel. Titres enchaînés, peu d’échange avec le public dans la première partie du set, mais ce son si particulier, fin, chaud et puissant. S’il ne communique pas beaucoup, il donne musicalement le maximum. Quel run il va faire avec le batteur seul, le réduisant au silence pour finir en solo dans cette belle nuit, un moment de grâce.
Des titres anciens dont celui que j’attendais « Sing a Song of Song », des plus récents de son dernier album « Backyard Groove », « Philly »…. et bien sûr la fin de concert traditionnelle en partageant enfin avec le public, « Do Your Dance ! » et pour terminer son hymne « Happy People ». Les fesses ont quitté le sable, les 3000, 4000 (?) personnes dansent, chantent, Kenny leur fait signe « Viens, viens », bouquet final, climax, cerise sur le gâteau d’anniversaire du festival (rayer le poncif inutile). Pas de rappel et fuite instantanée du maître. Les autres sont là à traîner, toujours relax.
Au boulot Alain Claudien, le Steinway a pris cher…
Un grand bravo à Eric Coignat pour ce 50ème anniversaire du festival, programmation impeccable, variée, riche, prestigieuse. Belle organisation surtout pour le prix demandé au public… tout était gratuit ! Merci aux bénévoles et à la Ville d’Andernos, bel effort. On va essayer de tenir 50 ans de plus.
* à ce sujet un musicien bordelais ancien de Berklee et présent au concert, a peut-être une explication, une sonorisation en façade pas au niveau selon lui, ce qui aurait passablement agacé KG. C’est du moins son impression et connaissant sa rigueur, je n’en doute pas. A AJ nous étions backstage, sidestage en l’occurrence, et n’avions pas le même rendu, par contre nous entendions très bien la batterie !!!