Par Vince, photos : Irène Piarou & Vince

Chronique d’humeur d’une première fois au Respire Jazz, éco festival (Abbaye de Puypéroux, Sud Charente – Montmoreau)

En pleine campagne charentaise, l’endroit est tout simplement magique. Loin de la moiteur électrique des stades russes, ce petit coin de campagne n’en est pas moins chaud en ce week-end de 1/8ème de finale. En cette fin juin (10eme édition du 28 juin au 1er juillet 2018), la météo est au rendez-vous et le soleil généreux en Charente.

RespireJazz 2018 ambiance

En lever de rideau, en pleine prairie et sans rideau de scène, Olinka Mitroshina, la petite poupée russe (ben justement… on en parlait), ouvre les festivités du samedi sur un piano droit décarcassé, ouvert aux quatre vents, histoire de respirer, lui aussi.

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Son trio (George Guy à la guitare et Alexei Drevitsky à la contrebasse) interprète avec beaucoup de personnalité et une rare élégance les grands tubes de George Gershwin, tels que « Fascinating rythm », « It ain’t necessarily so », The man I love, ou encore « I got rythm ».

Les compositions originales chantées par Olinka, « Green river song », « I’m moving on », se mêlent à la set list avec le même bonheur que les standards. Le public conquis, attentif, réuni sous l’ombre des tonnelles et des arbres est charmé, presque enivré, emporté par la brise chaude et le son juste de ce trio de classe internationale.

La vue sur les coteaux, un petit plan d’eau en contrebas, les foins coupés, le bruissement des arbres et le vol des insectes sont du voyage en pays jazz. Ce tout s’harmonise à la belle voix et aux yeux (aussi bleus que le ciel) de Madame Mitroshina.

Ah, quelle entrée en matière !

Le temps d’un rafraichissement, et 17 heures et la cloche sonnent… disons 17h30. Le quart d’heure charentais, doublé du quart de finale France-Argentine, décale de quelques minutes l’arrivée d’une rencontre Italie – France de haute volée. En fait, le soleil ayant décidé de baigner très généreusement la cour intérieure de l’Abbaye de Puypéroux, les gentils organisateurs, ont déployé leur énergie et quelques tonnelles pour abriter les nombreux spectateurs prisant l’ombre et méprisant le football.

La scène plantée au milieu du tertre, des dahlias, des rosiers et des plantes aromatiques prend vie à l’entrée d’Enrico Pieranunzi et de son trio de luxe composé de DD Ceccarelli (batterie) et de Diego Imbert (contrebasse).

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« Persona » pour débuter le set. Une composition des années 90 du maestro italien, suivi du mélancolique « Fellini’s walk ». Le trio prend son temps, respire, s’épanouit à l’ombre des hauts murs de pierre.

RespireJazz 2018 Pieranunzi & Steinway

Au 4 – 2 pour la France, (score annoncé en direct par Pieranunzi lui-même) le pianiste italien qui n’est pas avare d’anecdotes, explique son « ménage à trois » formé avec son trio du moment et titre éponyme de l’album sorti récemment. En prime, le gag des pinces à linge (pour tenir les partitions), donne à cette fin d’après-midi un ton badin, une ambiance doucement joyeuse, naïvement festive.

Mais la musique n’en est pas pour autant sérieuse, au plutôt exigeante, audacieuse, inspirée, comme cette « rêverie de Claude Debussy », jouée en bossa nova mid tempo… bravo.

Après deux rappels tirés de l’album « Monsieur Claude » (toujours dédié à Debussy), le trio tire sa révérence en annonçant, à ceux qui ne le savaient pas encore, la victoire de la France sur l’Argentine.

RespireJazz 2018 Pieranunzi trio

Côté musique, Italie – France a tenu toutes ses promesses… le gagnant de la rencontre ? Le public, qui s’est régalé du beau jeu sur le terrain, disons la scène !

L’heure est à l’apéritif sous les arbres, sur les chaises, les bottes de paille et les murettes de pierre blanche. De ticket en file d’attente, de bouche à oreille à qui trouvera le sel, le poivre, les cruches d’eau ou les desserts, chacun s’affaire aux essentiels de l’instant du ventre.

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Ventre affamé n’a pas d’oreille. Et, vu ce qui les attend (nos oreilles), il serait dommage qu’elles ne soient pas en pleine forme !

Affutés par un goûter russe et l’apéritif italien… une belle portion franco méditerranéenne et un dessert asiatique attendent nos tympans, non encore rassasiés.

20H30, alors que la chaleur de la journée fait place à une douceur plus supportable, Jean-Pierre Como, le pianiste aux mille facettes (Sixun notamment…) d’origine italienne, arrive sur scène avec un gang de joueurs à gages de premier plan. Thomas Bramerie, fine gâchette de la contrebasse, Stéphane Guillaume, sniper du saxophone (ténor et soprano) et l’ex bassiste Rémi Vignolo, reconverti à la baguette mitraillette.

RespireJazz 2018 JP Como solo

Le quartet exécute le premier morceau « Chorino Amalfitano » (album Boléro) avec tout le doigté et l’élégance dont il sait faire preuve. Toujours bavard sur son saxophone, Stéphane Guillaume répond au lyrisme attachant de Jean-Pierre, constamment volubile sur son clavier.

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Il ne manquait plus à cette équipe qu’un artificier italien en la personne de Walter Ricci, chanteur napolitain (pléonasme) venu poser son timbre sur les morceaux tirés de l’album « Europa Express ».

Attentif, exigeant, rigoureux, le public se laisse bercer tour à tour par les rythmes rapides et plus lents, les textes en anglais ou en Italien. Les hirondelles, dont l’heure est à la chasse, sifflent en volant, becs ouverts à la recherche d’un diner mérité.

RespireJazz 2018 W. Ricci

Enrico Pieranunzi et DD Ceccarelli se glissent à l’arrière de la scène, backstage, pour écouter, presque discrètement, la performance du pianiste Como et de ses compères. Il faut dire qu’à Puypéroux, il n’y a pas de backstage… et qu’importe. Ici la musique se partage avec une telle proximité, un tel naturel que tout décor, toute structure serait superflue.

 

L’épisode « corde cassée » n’en aurait pas été aussi savoureux… laissez-moi vous le raconter.

Thomas Bramerie casse une des cordes de sa grand-mère (la contrebasse). Se retirant quelques pas en arrière, il la change à la vue de tous, tel un pilote de formule 1 ses pneumatiques, ladite corde cassée. Jean-Pierre profite de l’instant pour interpréter une composition piano solo, particulièrement ravélienne, le temps de chausser de neuf la contrebasse.

Respirejazz 2018 corde cassée

Sept titres, dont le dernier du set, « You are all » sont venus donner à l’abbaye une autre idée du jazz, celui de ce grand monsieur de la scène française, le sincère et touchant Jean-Pierre Como. Un dernier rappel, « Mandela Forever », pour amener plus loin encore les notes sans frontière de cette musique, emblème de liberté et de fraternité.

Après un rapide stage shifting, (vu le peu de matériel nécessaire pour accueillir le prochain plateau), le public regagne vite ses places. Qui un transat, qui une place dans les gradins, qui un coussin posé au sol, qui une balle de paille comme siège ou en dossier…

RespireJazz2018 Youn Sun rappel

Youn Sun Nah, désormais habituée aux salles feutrées du monde entier, fait son entrée dans la lumière bleutée de 2 projecteurs braqués sur sa beauté. Dans le silence troublé par quelques cris d’enfants et par le chant des grillons, la guitare d’Ulf Wakenius et la voix de Youn Sun Nah font chavirer les spectateurs. Alternant les titres de son dernier album « She moves on » et ces titres phares comme « Momento Magico », la plus française des coréennes donne un ton brésilien à ce morceau de son fidèle guitariste suédois. Quel beau mélange ! Casquette toujours rivée sur le crâne, il dialogue avec la voix de Youn Sun Nah dans rare une complicité. Leurs innombrables associations et les compostions comme « Breakfast in Bagdad » ont scellé une formidable entente, et en même temps une singulière dualité. Le concert est une succession de chorus de 6 cordes et d’extravagances des cordes vocales. « Hallelujah » de Léonard Cohen, « Hey little bird » de Tom Waits ou encore « Neverland » de Metallica, rien n’est insurmontable pour la chanteuse coréenne, douce et furieuse à la fois.

RespireJazz 2018 Youn Sun duo

Après un titre chanté en coréen et après avoir fait remarqué que son pays avait battu l’Allemagne lors de la coupe du monde de foot… Youn Sun Nah s’empare du monumental « Avec le temps » de Léo Ferré.

Son interprétation dans la salle de l’Astrada à Marciac en 2011 avait tiré les larmes à la salle. Elle-même avait dû utiliser un mouchoir pour poursuivre son récital.

A Puypéroux, c’est le ciel qui a craqué, fondant lui aussi en larmes, et chassant d’un souffle le duo et les spectateurs, juste à la dernière note.

Et oui, avec le (mauvais) temps, avec le (mauvais) temps va, tout s’en va…

Mais dans la voiture sur le retour, à l’abri des gouttes, sous les éclairs mais encore bercé par les notes du jour passé, enivré par les mélodies, enchanté par les rencontres, les sourires et les moments partagés, je n’ai qu’une hâte… revenir respirer cette odeur de foin séché, ces rosiers et ces accents musicaux aux mille fragrances.

Les mille parfums de ce jazz sans frontière, celui qui, mieux encore que le football, fait se rencontrer les amoureux des notes du monde entier.

C’était la 10ème édition du respire jazz festival, il y a tout juste 2 semaines, et j’espère revivre le même bonheur à chaque édition, avec ou sans coupe du monde de foot !

Merci et un grand bravo à toute la famille Perchaud et aux bénévoles du festival.

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