ANGLET JAZZ FESTIVAL 2023 – Jours 1 et 2

par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat

Dixième édition du Anglet Jazz Festival, démarré auparavant avec Jazz sur l’Herbe, qui en sera dimanche à son seizième millésime. Chaque année un pari, une incertitude pour la suite, un casse-tête pour l’association Arcad et sa directrice Agnès Zimmermann qui le tiennent à bout de bras malgré les difficultés pour en boucler le budget. Marc Tambourindéguy le musicien, directeur artistique du festival, nous le présente insistant sur la diversité, l’éclectisme des musiques proposées ; tant de courants dans le jazz à faire découvrir et aimer au public ! De

Jeudi 14 septembre au Théâtre Quintaou :

Mowgli

Le trio toulousain est difficilement classable comme nous aimons pourtant tous le faire. A l’issue du concert je leur attribuerai l’étiquette électro-progressif-punk jazz, rien ne vous oblige à la coller. Composé de Ferdinand Doumerc le spectaculaire saxophoniste et flûtiste (Headbangers, Pulcinella…) de Bastien Andrieu très innovant aux claviers et de Pierre Pollet affolant à la batterie, la formation propose sa propre musique. Sauf l’ouverture tout en douceur, presque aérienne avec la flûte de Ferdinand jusqu’à son cri qui nous fait basculer de la Jungle de Mowgli (c’était donc l’ouverture musicale du film revisitée) dans un univers que je qualifierais de Zappaesque avec « Malalamoler ». Cassures, rebondissements, bruitages, fulgurances, explosions, ampleur, énergie, minimalisme, une musique jamais installée, des surprises permanentes. Ca pique un peu parfois quand ça tourne au free mais comment ne pas rester raide dingue devant trois musiciens aussi engagés. Les vieux briscards comme moi ont leurs référence qui remontent inexorablement, Zappa donc, Pink Floyd parfois, Soft Machine ou les plus récents Gogo Penguins . Ce que j’ai adoré la pulsation obsédante de « One Eyed Jack » habillée d’électro, le sax bourré d’effets planant au-dessus de nous ! Mowgli c’est une musique pleine de culot et, que vous soyez d’accord ou pas, vous secoue les neurones et les membres. Pour moi une réelle (re)découverte qui en public trouve toute sa folle dimension. Waoww !!!

Laura Prince

Programmation très contrastée ce soir, Laura Prince et sa constellation de musiciens s’avancent. Plus précisément eux d’abord, préparant son arrivée sur scène. Parler de sa tenue, de cette belle robe fourreau noire et blanche (un hasard ?) est-il encore possible sans passer pour un vieux macho ? Je ne le ferai donc pas. Laura nous livre alors quelques bribes de ses souvenirs d’enfance au Togo, l’odeur du maïs grillé, des femmes chargées de l’eau si précieuse, de la lumière … Dans sa musique vont ainsi s’intégrer ces références métissées, comme elle. On retrouve de ci de là les sons des chants africains qui pimentent son récit musical. Douceur de la voix, élégance, présence scénique gracieuse tout est là pour nus subjuguer. Et que dire de son quartet, ces musiciens réunis par le fabuleux pianiste Grégory Privat qui a aussi conçu les arrangements ? Inor Sotolongo le Cubain aux percussions bien sûr, Tilo Bertholo le Martiniquais au jeu de batterie si riche, Zacharie Abraham le contrebassiste guadeloupéen de la belle fratrie qu’il forme avec Cynthia et Clélya. Pouvait-elle rêver mieux pour jouer sa musique aux multiples influences et aux parfums exotiques ? Un orchestre ? Non une horlogerie musicale incroyable capable de tous les tempos, des plus délicats aux emballements joyeux. Elle en tire le meilleur partie comme ce duo avec Zacharie sur le seul standard du soir en hommage à Tony Bennett avec « They can’t take that away for me » que le crooner avait repris avec Diana Krall. En duo avec Gregory voilà un « In your eyes » qui instantanément nous terrasse de bonheur, de sa voix grave ici, elle nous enveloppe d’amour alors qu’en quelques touches légères ou certains accords osés, le pianiste nous entraîne si loin dans l’émotion. Laura chante aussi le monde, le sien, celui de ses origines soumis à tant de vicissitudes, la Terre si belle et si fragile, la paix si difficile à saisir… Textes, musiques elle a tout fait. Et elle joue aussi du piano. Laura n’oublie jamais le public, elle nous parle avec douceur, gentillesse – sur scène ou en dehors elle est ainsi – nous fait chanter, sans l’excès de certains. Une jeune carrière et déjà un tel métier, naturel, pas surjoué, m’est avis que Laura la princesse sera bientôt reine.

📝 Interview de Laura Prince

Vendredi 15 septembre au Théâtre Quintaou :

Pierre de Bethmann en trio

Pierre de Bethmann est un habitué du festival, venant bien sûr à chaque fois pour un projet différent. Ce soir il est dans une formation de trio acoustique inhabituelle, lui au piano bien entendu, Florent Nisse à la contrebasse mais pas de batteur, c’est Nelson Veras le guitariste brésilien qui en marque la singularité. Formation entièrement. Pierre, avec sa classe habituelle au micro, nous plante le décor, un parcours amoureux autour de standards dans une formation intimiste, mais pas seulement, se rapprochant de la musique de chambre. La « chambre » justement est bien pleine ce soir, pas de match de rugby prioritaire pour parasiter la soirée et il est vrai aussi que nous sommes vendredi.

Un genre de blues débute le concert, longuement développé. Seules quelques oreilles expertes et affûtées auront reconnu une version plus que tordue – terme employé par PdB lui-même – de « Love for Sale » ; je n’avais vraiment pas percuté… Viendront d’autres détournements comme celui de « Thinging » de Lee Konitz lui-même une version revisitée de « All the things you are ». Les avis seront très partagés à l’issue du concert. Ceux qui ont aimé souligneront le toucher merveilleux de B, la technique de Nelson, la chaleur du son de Florent. Les autres, un peu désarçonnés, auront entendu trop de notes et trouvé trop de distance avec les standards évoqués… Du jazz qui ne laisse donc pas insensible. Une mention spéciale à Florent Nisse (Flash Pig notamment) qui remplaçait le regretté Matias Szandaï, qui lui-même devait suppléer Aldo Romano, le complice de longue date de PdB. Florent jouait ce répertoire complexe pour la toute première fois ; qui aurait pu le deviner ?

Laurent Coulondre « Meva Festa »

Changement radical de plateau à l’entracte, de trois on passe à neuf musiciens avec notamment deux « ateliers » de percussions particulièrement fournis. Ceux du cubain Inor Sotolongo – déjà là hier avec Laura Prince – et du brésilien Adriano Dos Santos Tenorio, impériaux tous les deux. On va en effet partir vers les couleurs latines des caraïbes ou du Brésil avec cette formation réunie par Laurent Coulondre toujours avide de nouvelles sensations. « Meva Festa », ma fête mais aussi la nôtre. Tous les codes du genre sont présents, la trompette d’Alexis Bourguignon, la flûte et son chant de Christelle Raquillet, les saxophones de Lucas Saint-Cricq et Stéphane Guillaume (qui remplace au pied levé le trombone de Robinson Khoury) la grosse basse de Léo Chazallet , les vocalises de Laura Dausse , les luxuriantes percussions et les claviers bien sûr que dynamite le patron, compositeur de tous les titres joués. Ça démarre à fond, contrastant avec le côté intimiste du set précédent ! La musique est festive, colorée , procurant un plaisir immédiat. Les sections se répondent, les cuivres s’enflamment, les percussions vous traversent. La flûte de Christelle (arrivée de Montréal un quart d’heure avant le concert après maints retards de transports) trouve tout de même sa place ajoutant cette note légère à cet équipage virevoltant. Les vocalises de Laura Dausse, elles aussi, participent à cet apport de légèreté, on pense à Flora Purim dans le même style. Quant à Laurent Coulondre, loin de s’attribuer le premier rôle, il ne nous prive pas de son enthousiasme virtuose , jonglant avec les claviers de ce groove cubain joyeux et percussif. Le funk sera aussi présent pour le plus grand plaisir de certains amateurs repérés dans la salle ! En d’autres lieux d’ailleurs le public se serait levé aurait dansé, ici , bien calé dans les confortables fauteuils, il est très sage – trop – pour rajouter le grain de folie qui pimenterait davantage cette musique. Merci à ces musiciens de nous avoir transmis leur belle énergie, les sourires de l’assistance qui se disperse à plus de minuit en disent long.

À suivre…

Jours 3 et 4
https://angletjazzfestival.fr/

Galerie photos :

Mowgli

Laura Prince

Inor Sotolongo, le Mister Minit des percussions !

Laura Prince aux balances :

Pierre de Bethman trio

Laurent Coulondre