Interview : le métissage de Laura Prince
Propos recueillis par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.
Anglet Jazz Festival,le 14 septembre 2023
A l’issue des balances de son concert au Anglet Jazz Festival nous avons rencontré Laura Prince, révélation vazz vocal 2021,une personne pleine de gentillesse et d’humilité.
Action Jazz : Bonjour Laura, merci de nous accorder quelques minutes. De par votre parcours familial, musical, on peut vraiment parler de métissage, ce terme souvent utilisé à tort et à travers. Tout ceci est donc naturel pour vous ?
Laura Prince : naturel ? C’est une bonne question ça ! (rires). Peut-être pas car quand on est métisse, il faut trouver sa place. Ce n’est pas évident quand on arrive et qu’on te dit ton papa il est togolais et ta maman elle est française et que toi tu es entre les deux. Mais une fois que j’ai compris que je pouvais être tout l’un ou tout l’autre ou les deux, même musicalement je n’ai pas hésité à me dire que j’étais métisse, que je pouvais faire une musique métisse.
AJ : votre famille, c’était des musiciens ou « simplement » entre guillemets, des mélomanes ?
LP : des mélomanes. Je n’ai pas eu de musiciens autour de moi. Ma grand-mère et mon arrière-grand-mère que je n’ai pas connues étaient pianistes.
AJ : j’ai vu dans votre biographie sur votre site que vous aviez de nombreuses influences Nina Simone, Dinah Washington, Ray Charles, Etta James , les Korgies ? Mais aussi la salsa cubaine de Celia Cruz, l’afrobeat de Fela Kuti et le Makossa de Manu di Bango, mais aussi l’émotion de Piaf et Barbara, le cri de Brel et le swing d’Aznavour, Mozart, Bach…
LP : oui on écoutait beaucoup de musique à la maison, dans tous les styles, mon père adorait Maria Callas.
AJ ; vous êtes partie dans une direction plus soul
LP : oui ça m’a marqué dans ma période adolescente et après. J’ai écouté beaucoup de musiques mais les voix d’Etta James, de Whitney Houston m’ont beaucoup marquée et inspirée ; le gospel aussi.
AJ : vous composez et écrivez. Vous commencez par quoi, les textes ou la musique ?
LP : la musique. Sauf pour un titre de l’album.
AJ : pourquoi en anglais, pourquoi pas en français ou en togolais ?
LP : (rires) toutes les choses qu’on a cité, à part Brel, Piaf, c’est de l’anglais et j’ai été influencée par la musique mais aussi la langue, donc pour moi c’était naturel. Mais ça ne veut pas dire que je n’écrirai pas en français dans d’autres projets.
AJ : comment avez-vous pu vous entourer d’un tel plateau de musiciens ? Ça n’a pas été trop difficile ? Vous avez à vos côtés parmi les meilleurs dans leur catégorie ! ( Grégory Privat piano • Tilo Bertholo batterie • Zacharie Abraham contrebasse • Inor Sotolongo percussions)
LP : Effectivement. Comment ? Je ne sais pas ! J’avoue que je me pose encore des questions en me disant mais waouh ! Comment ai-je autant de chance ! Je pense que j’accepte d’avoir cette place petit à petit. En fait la première fois que j’ai vu Grégory Privat il m’a dit mais tu étais où pendant tout ce temps ? J’ai dit je ne sais pas, c’est juste que parfois on ne se sent pas légitime et on n’ose pas, on ne se sent pas à la hauteur ; alors qu’en fin de compte, pourquoi pas !
AJ : justement, le titre de révélation jazz vocal 2021 par Jazz Magazine vous a donné de la force ?
LP : ah oui c’est sûr. Mais avant de sortir l’album j’ai rencontré le directeur du festival de Sète, Louis Martinez. Il a écouté juste des essais piano voix de Grégory et moi et il m’a félicité, encouragé à faire un album. Il m’a beaucoup soutenue et c’est ça qui m’a d’abord donné confiance. Je me suis dit : il faut que j’y aille ! Jazz Magazine c’était le couronnement.
AJ : vous chantez merveilleusement, on vient d’en avoir la confirmation lors des balances. Où et comment avez-vous appris ?
LP : d’abord tout à l’oreille, autodidacte, pareil pour le piano. J’ai ensuite pris des cours de chant vers les 17-18 ans.
AJ : avec qui ?
LP : je ne pense pas que vous le connaissiez, c’est avant tout un prof de Gospel, Frank Zita. Je suis ensuite allée chercher d’autres coachs vocaux , dont un qui est aux États Unis qui s’appelle Brett Manning. Ses cours sont très chers donc je n’en ai pas pris beaucoup (rires) mais ça me sert bien.
AJ : j’avais une question mais qui tombe à plat, je voulais savoir si vous repreniez des standards et justement vous venez d’en travailler un aux balances !
LP : ah oui ! Celui-là (They can’t take that away for me) je l’ai ajouté récemment sur scène parce que Tony Bennett que j’adore est décédé et il le chantait ; je sais que ce n’est pas sa chanson phare, c’est plutôt « I left my heart in San Francisco », il l’a chantée avec Diana Krall.
AJ : je cite Annie Robert dans sa chronique pour Action Jazz de votre dernier concert à l’Astrada de Marciac : « Laura Prince qui mêle une certaine gravité avec des rythmes plus entraînants, chante avec une réussite totale le métissage réussi, la pluralité volontaire, la joie de la culture élargie et du parcours atypique, qui forge et inspire. Entourée d’un quartet merveilleux ( mais vraiment merveilleux !! ) , elle nous entraîne dans son univers très personnel, émouvant, envoûtant par la seule magie de sa voix caressante et veloutée, balancée entre vents d’Afrique et collines verdoyantes. » C’est vrai tout ça ?
LP : (rires) waouh, il faut que je respire !
AJ : les vents d’Afrique, les collines verdoyantes, le métissage
LP : oui c’est vrai que c’est ce qui m’inspire et que ces derniers temps j’opère un vrai retour vers l’Afrique. J’en reviens depuis une semaine et je m’en rapproche un peu plus , j’essaye de m’accaparer un peu plus de ses racines, on verra dans le prochain album
AJ : chanter sur scène et en studio c’est bien sûr différent ; vous aimez le live et sa dimension supplémentaire ?
LP : oui, le contact avec le public, c’est quelque chose qu’on ne peut pas expliquer. Ce qui est marrant c’est que dans les petites salles c’est plus difficile parce que c’est hyper dur d’avoir des gens tout près de nous et qui voient tous les moindres gestes. Je vois les réactions, ça peut être ses sourires mais ça peut être des pleurs et du coup c’est très difficile comme exercice. Quand ce sont des grandes salles c’est la sensation d’avoir cet enveloppement de toutes ces personnes, de toutes ces âmes.
AJ : la manière de chanter va changer suivant la taille de la salle, même si la sono est là pour ça.
LP : bien sûr, il y a quand même plus d’intensité à produire. Dans les répétitions comme aujourd’hui j’essaye de me ménager un peu pour garder de l’énergie, ne pas me casser la voix.
AJ : la suite maintenant, tournée avec ce projet ? D’autres choses qui se profilent ?
LP : affaire à suivre, j’ai déjà donné des indices avec l’Afrique.
AJ : merci Laura
LP : merci les Philippe !