Par Robert Latxague, photos Sébastien Arnouts et Alain Nouvel.

Festival Jazz Naturel, Salle Francis Planté, Orthez (64300)

Eric Seva (bars, ss, ssn), Christophe Cravero (p, elp, cla, vln), Christophe Walleme (b), elb), Manu Galvin (g), Stéphane Huchard (dm), Harrison Kennedy (voc, bjo, hca)

Tom Ibarra elg), Jeff Mercadié (ts), Antoine Vidal (elb), Auxane Cartigny (cla, p), Pierre Lucbert (dm)

Emile Parisien (ss), Roberto Negro (p), Manu Codjia (elg), Simon Tailleu (b), Mario Costa (dm)

Jazz Naturel fêtait cette année sa 25 édition. Faire vivre un festival de jazz en une période de fin d’hiver dans une ville de dix mille habitants ne tombe pas sous le sens commun. Autant dire qu’à la tête de son équipe, Jacques Canet, le boss du festival béarnais y fait face vaillamment maintenant depuis ce quart de siècle de concerts jazz et chanson mêlés. Sauf que depuis des mois cette édition s’annonçait plus complexe encore. Au début de l’été dernier la municipalité de la cité en bord de Gave avait du déposer les armes au bout d’une guerre interne picrocholine prolongée. Bataille d’influences, coups tordus, premier magistrat mis en minorité, population mise devant le fait accompli. Donc démission de l’équipe en place, et élections à refaire au bout du compte,…Avec des conséquences en cascade: budget remis en cause, programme remis en question contrats remis à plat : «  Je n’avais pas le choix, Il fallait faire avec… se souvient Jacques Canet. Mais, bon j’ai vécu des moments très incertains, un certaine sentiment de solitude aussi. Et puis au moment des choix du public, ces points d’interrogation ont pesé, c’est certain… »

Tom Ibarra Group

Il n’a pas vingt ans. Et pourtant certains le voient déjà comme phénomène. Tom Ibarra, guitariste lauréat soliste de nombreux tremplins d’orchestres vient juste de bénéficier d’une récompense qui tend à le faire briller davantage encore aux yeux de certains représentants du mundillo jazz. A Londres un jury lui a attribué un Award du meilleur jeune artiste européen catégorie jazz. Brillant donc il l’est. D’ailleurs sur scène on a pu l’entendre, invité auprès de Marcus Miller, Richard Bona ou même Sylvain Luc. Un second album sous son nom vient de paraître en auto-production « Sparkling ». Du coup, s’il faut en croire une promo bien appuyée il devrait cette saison se produire sur une quarantaine de scènes européennes à la tête de son nouveau groupe. Mais, à propos d’affichage live, revenons à l’idiome guitare. Un joli phrasé affiché sur le manche, un discours coulé, précis, net dans les phrases, les passages d’accord comme dans les articulations. Le jeune Tom livre une sonorité claire, avec des accents qui le le relient aux prestations sur le même instrument de Georges Benson, Mike Stern ou Pat Metheny. Avec son nouveau groupe de musiciens, tous jeunes, disons branchés comme autant de fringants gars de vingt ans venus d’une galaxie électrique, ils nous font le coup d’un remake du jazz fusion des années 70/80, enfants naturels de Corea, Mc Laughlin, Zawinul, Cobham etc…

Tom Ibarra cl Sebastien Arnouts

Les thèmes exposés illustrent la dite filiation. Sincérité un peu désarmante, naturel de vélocité au galop d’instruments bien domptés, brio des interventions solos : pour le « guitar hero » voilà le bon moyen de se faire connaître. Et sans conteste, reconnaître. Reste donc à avancer. Et creuser son propre sillon. Donc, au delà des allers et retours sur le manche à construire son propre univers: de guitare et de contenu musical personnel. Il et ils -en nombre dans le groupe semble-t-il ont (eu) la chance d’être passé par les bancs et pupitres de l’école Didier Lockwood (auquel Tom Ibarra a eu la délicatesse de rendre hommage avec un feeling bien senti) Voilà qui pourrait figurer un point de départ. Une référence incontestable.

Tom Ibarra cl Sebastien Arnouts (2)

Hommage à Didier Lockwood

Tant que l’on se situe dans le domaine de l’émotion, à noter en introduction au concert du samedi une belle séquence hommage à Didier Lockwood très récemment disparu. A partir de la projection d’une galerie de clichés portraits dus aux photographes Alain Nouvel, Francis de Moro et Sébastien Arnouts le public de Jazz Naturel a entendu résonner les notes reconnaissables entre mille de son violon virtuose sur un thème de la BO des Valseuses signées Stéphane Grappelli.. Juste retour des choses: Didier Lockwood avait joué lors de trois éditions du festival orthézien.

Eric Séva : Body and Blues

Le directeur du festival avait choisi de longue date de programmer le projet d’Eric Seva. La nature même du travail du saxophoniste installé à Marmande puis un concert vécu au Rocher de Palmer à Cenon l’an passé on proprement séduit Jacques Canet. Sur la scène du théâtre Francis Planté les notes de blues et de jazz ont tout de suite trouvé un écho très brillant. Au premier plan de cette réussite, ce n’est pas un hasard, l’étonnant Harrison Kennedy. Sa personnalité, l’apport de l’harmonica et du banjo, sa voix, sa présence, son blues lâché au naturel sonne toujours vrai. Conséquence de ce bonus très spécifique Body and blues en live sonne plus nature encore. Ainsi en est-il lorsqu’il place les accents de son chant profond sur Miniscropique Blues, titre qui parle de lui même. If you go en sort gorgé (mot adéquat) de soul. Et lorsque, prendant son banjo il conte l’histoire sombre, poignante d’une jeune esclave brulée vive au Québec en 1734 (Jolie Marie-Angélique), le natif d’Hamilton (Ontario, Canada) fait revivre jusqu’à ce jour la vérité des racines de cette musique en noires et blanches projetées. Eric Seva a choisi à dessein ses musiciens: ils servent tous parfaitement ces allers et retours, cette filiation entre blues et jazz -quel exemple plus parlant que celui de la guitare chaude de Manu Galvin ?- ils assument en commun cette culture musicale qui suinte le made in USA.. Paradoxe sans doute, mais bon: avec cette musique ainsi produite, affinée, le public en live comme l’heureux acquéreur du CD (Body and Blues, #LesZ’ArtsdeGaronne/ L’Autre Distribution) goûte à ce pan inédit de la Great Black Music …de la part d’un band tout ce qui il y a de plus hexagonal. Eric Seva a eu l’intuition judicieuse de revitaliser, de remettre l’ouvrage du jazz sur le métier du blues. Et vice versa..Sans fausse note aucune !

R.Latxague et É.Séva cl Alain Nouvel

Eric Séva improvisant sur les poèmes de Robert Latxague

Emile Parisien

On le sait: Emile Parisien, intenable Mousquetaire du jazz effervescent sorti directement de l‘Académie des Cadets de Gascogne du Jazz. Il en a étudié, forgé, affûté les armes sax à la main à l’ombre des murs du collège de Marciac. Lui aussi tiens, d’entrée, fut étiqueté au rang de jazz phénomène. Sfumato (CD www.actmusic.com), toujours d’actualité sur les scènes hexagonales, témoigne qu’il n’en a pas perdu la tête pour autant. Ce travail permet de pointer l’évolution, la profondeur du sillon musical tracé depuis son éclosion en terre gersoise. Déjà, il laisse suffisamment d’espace aux musiciens histoire de nourrir son propos. Témoin le rôle échu à Roberto Negro qui donne au piano une place prépondérante en autant d’introductions, de relances ou soli pour booster ou apaiser la musique. Voir le pari de sacraliser les solos d de Manu Codjia -alternance tension/détente- dans la formule choc d’un trio interne guitare-basse-batterie. De quoi souligner en parallèle le travail toujours très peaufiné même s’il n’apparaît pas toujours projeté en premier plan de Simon Tailleu et Mario Costa) Pour qui a vécu, écouté les concerts de cet orchestre à dimension variable -question de coût donc de budget afférents- les versions de certains thèmes (Transmitting) sonnent de manière différente. Par exemple selon que le clavier dans l’orchestre se trouve tenu par Joachim Khun ou Roberto Negro. Ce dernier, habituellement plutôt placé dans le rôle de remplaçant ne manque pourtant pas de s’impliquer totalement dans le propos. Les contenus. A Orthez Il les a marqués de son empreinte, une forte tonalité rythmique en particulier (Le Clown tueur) Et toujours perdure bien sur, la personnalité, le jeu physique au possible, les sauts de lignes, les couleurs jaillies du soprano d’Emile Parisien nourrissent à plein ses tableaux jazz successifs. Produit musical certifié issu des sonorités du soprano exclusivement, du timbre de cuivre qui n’appartiennent qu’à lui. En mode de sauts, de courses folles comme de caresses habilement suggérées. Cet art de (savoir) jouer avec l’esprit du jeu (fallait voir à Orthez comme les enfants de l’(Ecole de Musique venaient lui demander des autographes à la fin du concert) en fait un musicien de jazz particulier. Bretteur, propagateur, transmetteur désormais habilité.

Autres concerts :

Souad Massi

souad massi cl Sebastien Arnouts

Sweet Peppers

sweet peppers cl Sebastien Arnouts

La quête de Jazzon

la quête de Jazzon cl Alain Nouvel