par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.
CIAM, Bordeaux le 26 mars 2018.
Aujourd’hui Action jazz vous emmène au CIAM, l’école de musique bordelaise, pour une masterclass, celle d’un batteur donc à priori destinée aux spécialistes de l’instrument mais qui va s’avérer beaucoup plus large dans son contenu.
Le musicien qui va l’animer c’est Terreon Gully, un nom qui ne parlera guère qu’aux spécialistes bien que ce musicien n’ait pas vraiment de spécialité comme il va nous en convaincre. En bref, s’il est depuis cinq ans le batteur de Dianne Reeves, il joue aussi avec Christian McBride, Abbey Lincoln, Jacky Terrasson… voilà pour le jazz. Mais on le retrouve aussi avec Burning Spear, reggae, Lauryn Hill, hip hop, Yerba Buena, fusion latino…
Pour cette masterclass, Terreon est entouré de ses amis bordelais Olivier Gatto et Shekinah Rodz avec qui il a joué et enregistré au Haillan l’an dernier.
Belle assistance et jeune de surcroît, tant mieux, pas mal de batteurs mais pas que.
En préambule le trio attaque un standard de jazz que nous ne sommes pas nombreux à reconnaître, les jeunes par manque de culture jazz et d’autres par l’arrangement musclé du titre. Il s’agit de « Softly as in a Morning Sunrise » (sensation qu’on a oubliée depuis des mois de pluie…). Sur une ligne vive de contrebasse d’Olivier Gatto sur laquelle Shekinah Rodz prend un long chorus, Terreon nous étale sa palette créative de façon éblouissante. Rythmes dans le rythme, des ponctuations de croches et de triolets, le titre est métamorphosé. La preuve il va ensuite nous le jouer standard, plan-plan, pour comparer, utilisant les balais pour commencer puis plus sage aux baguettes, bien qu’on sente une certaine impatience parfois dans quelques coups appuyés.
Le débat est lancé, timidement les questions ayant du mal à venir. Timidité, barrière de la langue (mais Olivier fait l’interprète). « Si vous êtes là c’est pour apprendre et pour apprendre il faut poser des questions, sinon c’est que vous savez tout » explique Terreon de sa voix douce contrastant avec son physique de colosse.
On va parler tempo et comment le garder ; pour Terreon le métronome ou des loops de basse, l’instrument fondamental pour lui – Olivier jubile – sur lesquels il s’appuie.
On va parler surtout de l’écoute avec les autres musiciens, la liberté de jeu mais en interaction, les tensions et les éléments de surprise – il n’en est pas avare dans son drumming – qui font la créativité.
Cette écoute il l’a apprise jeune à l’église où il jouait le Gospel chaque dimanche, seul avec une chanteuse puis à plusieurs avec un bassiste et un pianiste. Une adaptation perpétuelle, une connexion avec les chanteurs, l’ambiance du moment. Tout ça avant l’avènement des Gospel Shops où le nombre de musiciens a augmenté en plus des machines et ordinateurs qui délivrent des boucles toutes faites, le batteur n’ayant plus alors qu’à suivre le rythme au lieu de le donner.
Cette écoute elle lui servira après ses études musicales quand il partira à NYC et commencera à jouer dans les clubs. « Oh my God, you listen ! » lui diront certains musiciens. Trop selon lui jouent leur propre partie sans s’occuper des autres.
Didier Ottaviani professeur au CIAM, lui, a plein de questions à poser à son collègue batteur. Sur son éclectisme musical notamment. Terreon répond qu’il aime tous les styles mais que quand il les joue il s’exige d’être le plus authentique possible dans chacun. Et pour ça il écoute sans arrêt de la musique mais de façon studieuse, prenant des notes, faisant des transcriptions et surtout en allant voir sur place les musiciens ce que lui permet sa carrière. A Rio, à Cuba ailleurs, c’est là qu’il voit et surtout entend la différence avec les livres où les choses sont certes expliquées mais pas forcément de la manière la plus authentique. « Ecoutez le maximum de musique, soyez le meilleur que vous puissiez être » conseille t-il.
Il nous raconte que lors d’un enregistrement pour Burning Spear il avait préparé et accordé sa batterie et que quand les rastas sont arrivés ils ont d’abord été surpris pas son look cheveux courts sans locks puis par sa grosse caisse fermée. Ils lui ont fait démonter la face avant, l’ont remplie d’un coussin coincé avec une brique car c’est comme ça qu’on joue le reggae. Tout ça pour obtenir le même son qu’au départ… L’authenticité ça peut être cela aussi !
« Que pensez vous de la batterie dans le rock ? » En trois coups de baguettes on a compris, tchac poum, tchac poum. « C’est très simple, j’adore, mais il n’y a pas assez de liberté. Un de mes meilleurs amis est Charlie Watts et en faisant ça il a gagné des millions de dollars ! Il vient m’écouter quand je joue à Londres et j’ai vu les Stones cinq ou six fois backstage. » Et le métal ? Il joue deux mesures « Oh non, ça va trop vite avec les deux pédales de grosse caisse, c’est du sport ! »
Il évoque un grand batteur avec qui il a pris des cours et qui l’a marqué, Jeff « Tain » Watts qui notait tout ce qu’il écoutait et qui lui a donné des listes de titres à travailler. Il nous parle avec humour de l’époque où il jouait dans un marchin’ band à Disneyland (!) dans un costume ringard et où le soir avec ses colocs, d’univers musicaux différents, ils tapaient le poker en écoutant les playlists de chacun, faisant ainsi sa culture musicale. « Ecoutez de la musique, cultivez vous ! »
A une question sur l’apport du Web il répond que « You Tube est à la fois une bénédiction et une malédiction. On voit tout mais on reste souvent passif devant l’écran. Allez au live ! »
L’improvisation ? « Il faut avoir des choses à dire » et démonstration aussitôt. Une ligne de basse d’Olivier et c’est parti. Exceptionnel.
A une question un peu béotienne sur ce qu’il conseillerait d’écouter en jazz « Deep question…» , il avoue quand même que l’amour du jazz lui est venu à l’écoute de Night in Tunisia d’Art Blakey ; « Coltrane c’était trop complexe ! »
Finalement on a davantage parlé musique que batterie, j’entend par là, avant de me faire incendier par mes amis batteurs, plus musique que technique, la batterie c’est de la musique ça je le sais depuis longtemps !
Une très belle leçon d’humilité donné par cet extraordinaire et aimable géant.
Ce soir le trio avec en plus Francis Fontès au piano et Frantz Fléreau aux percussions sera à 21 heures au Comptoir Éphémère. Ne ratez pas ça pour rien au monde !
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