par Philippe Desmond, photo Alain Pelletier.

Auditorium, Bordeaux vendredi 29 novembre 2019.

Ce soir nous sommes à l’Auditorium de Bordeaux, pas à titre personnel cette fois, mais en représentants d’Action Jazz. Et oui, un partenariat est en train de naître avec ce lieu sublime qui se traduit par la présence d’un rédacteur et d’un photographe ainsi que de deux invités. La collaboration existera pour la saison 2020-2021 mais un concert au choix nous a été proposé dès cette année. Ici les conditions sont très strictes, confort du public oblige et notre photographe Alain Pelletier aura droit, exceptionnellement, à quelques petites minutes de travail. Il ira en deçà de cette faveur ne prenant qu’une photo au tout début. Merci à l’Auditorium et à sa directrice de la communication de considérer ainsi Action Jazz comme un des acteurs importants de la vie du jazz à Bordeaux et au delà.

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Le concert choisi ? Celui du trio de Monty Alexander dans le cadre de la dixième édition de l’Esprit du Piano. On ne peut pas dissocier ce merveilleux pianiste de ses deux sidemen, le terme ici n’ayant guère de sens tant il règne entre les trois une fabuleuse osmose. Jason Brown à la batterie et Hassan Shakur à la contrebasse entourent Monty de façon extraordinaire. Je tiens à m’excuser d’avance mais il va y avoir du superlatif dans cette chronique.

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Photo Alain Pelletier

La salle de bois blond affiche complet (presque) prouvant que le jazz réunit du monde avec des têtes d’affiches médiatiques ou plutôt légendaires comme ce soir, sans ce soucier finalement du prix du billet d’entrée. Que ce public ait la curiosité de se déplacer pour des artistes moins prestigieux ou tout simplement les excellents musiciens du cru, pour souvent des sommes dérisoires, et nous seront comblés. L’agenda d’Action Jazz déborde de propositions (2).

Mais revenons au trio, nous l’avions vu aux 24 heures du Swing de Monségur l’été dernier pour un sublime concert sour les tilleuls de la place du même nom. Je garde de ce moment une forte émotion et j’avais donc envie de tenter de le revivre (1). Bien sûr les conditions sont ici totalement différentes, dehors, dedans, l’été cuisant, l’automne pluvieux, la campagne, la ville, le jour, la nuit et pas de tilleuls…

Monty, il nous l’a rappelé, a sorti son premier album en 1964, il avait 20 ans. Il a un lien spécial avec la France nous a t-il avoué, il est né, certes à Kingston Jamaica, un certain 6 juin 1944, jour du D-Day, le Jour J du débarquement en Normandie. 55 ans de carrière, il en a des choses à nous jouer ! Il finira le concert par deux titres de son nouvel album « Wareika Hill » mais avant va nous montrer sa large palette d’alchimiste.

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Pourquoi alchimiste ? Parce qu’entre ses doigts magiques toutes les musiques (du « Concerto d’Aranjuez » mâtiné d’accords de contrebasse de « Carmen », au « No Woman no Cry » de son ami et compatriote Bob Marley…), tous les standards (« Work Song », « Smoke get In Your Eyes », « Sweet Georgia Brown »…) se transforment en or ou même en diamant. Il commence sur un thème nous en cite tant d’autres dans le chorus, y revient, repart vers d’autres repères, nous perd, nous retrouve,  et cela d’une façon naturelle, souple sans aucune démonstration.

Monty on le connaît, ses disques en public notamment témoignent de cela  et son spectacle est bien rodé. On pourrait se dire que c’est un procédé mais il suffit de les regarder là sur scène, si près les uns des autres, s’amuser, se jouer de la musique pour se laisser persuader de leur sincérité. Monty, il faut le suivre, c’est lui qui décide, dos tourné à ses compères d’un geste de la main ou d’une inflexion au piano, il dirige, sur des sentiers pas toujours tracés à l’avance même si les points de rendez-vous sont déjà fixés. Le piano doit soupirer d’aise sous l’aisance ses doigts, il en détache les notes, il se permet d’en sortir des accords osés, il en caresse souvent les touches allant jusqu’à des pianissimos quasi imperceptibles ailleurs mais audibles ici dans ces conditions parfaites.

Hassan et Jason sont plus qu’à l’écoute, ils respirent ensemble, anticipent les variations. Comment ce colosse qu’est Jason Brown peut-il avoir une telle sensibilité de jeu, une telle finesse ? Comment Hassan Shapur – auteur d’un chorus extraordinaire allant même jusqu’à nous jouer le riff de « Sunshine of your Love » de Cream! – peut-il ainsi deviner la surprise ou le piège que lui tend Monty ? C’est un émerveillement permanent.

Deux rappels seront nécessaires pour calmer les ardeurs d’un public en extase, dans le premier il nous proposera deux titres de son dernier album, des compositions de Monk assaisonnées de sauce jamaïcaine comme il nous l’explique. Il ne pourra pas s’empêcher de faire son petit numéro de mélodica sur le « Day-O (Banana Boat Song) » immortalisé par Harry Belafonte (né de mère Jamaïcaine) le « Daylight come and me wan’go home » ayant du mal à être repris par un public visiblement peu anglophone ; Bordeaux tes traditions british se perdent ! (3)

Un triomphe. Monty Alexander prendra même tout son temps pour des dédicaces, des discussions et des photos, montrant que les légendes ne sont pas si inaccessibles que ça ! Ce soir, on était vraiment dans l’esprit du piano, le bon.

NB : même quand l’Auditorium (4) affiche complet sur son site il reste souvent des places et il suffit de venir tenter sa chance au dernier moment. Moi ça a toujours marché. Samedi 7 décembre le trio de Jacky Terrasson avec Sylvain Romano et Lukmil Perez.

  1. https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/30-ans-et-24-heures-de-swing-3-monty-alexander/
  2. https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/agenda/
  3. Il ne savait et nous non plus que le jour même venait de disparaître à 95 ans l’auteur de cette chanson, Irving Burgie, alias Lord Burgess, celui qui a fait connaître le Calypso dans le monde entier.
  4. https://www.opera-bordeaux.com/

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