Chroniques Marciennes 5.4                                                                  Astrada de Marciac / 31 Juillet 2019

Ce soir, c’est une chanteuse que l’on connaît bien ici, une enfant de Marciac et de son collège jazz qui est à l’Astrada. Je l’y avais vu il y a déjà trois ans, avec ses mêmes complices de Baa Box pour Baabel leur premier opus. Bien que fortement intéressée, ( cela sortait des sentiers rebattus des vocalistes, c’était osé et plein de créativité ) je n’avais pas été totalement séduite: un peu trop d’électronique, de bruitages, de fureur me masquait l’essentiel. Il me manquait un soupçon de recul et d’émotion.

En trois ans le chemin a été parcouru et quel chemin!! Ce soir, c’est une révélation totale avec Warm Canto.
Une vraie identité s’est installée, non pas différente de ce qu’elle était avant, les constantes sont les mêmes: inventivité, recherche des marges, originalité et un brin d’humour mais celle-ci s’est approfondie, éclairée, amplifiée pour une musique multidirectionnelle, intense dans laquelle les trois protagonistes prennent leur place et toute leur place.

Les mots existent peu dans cet univers et c’est à une syntaxe de sons que Leïla Martial se réfère, se transformant parfois en véritable funambule vocal: voix de petite fille, voix de gorge, voix de tête, chuintements, souffles et halètements, tout l’appareil phonatoire est exploré, exploité, renouvelé. Cela demande une réelle connaissance de soi. Elle fait de son instrument vocal à peu près ce qu’elle veut et on imagine bien le travail approfondi que cela a du lui demander, la grande liberté qui est la sienne et la folle prise de risque qui l’amène hors du confortable. Mais ce travail marqué du sceau de la recherche et de la créativité ne serait pas possible sans une osmose parfaite avec Eric Perez ( batterie / voix basse) et Pierre Tereygeol ( guitare/ voix ), leurs multiples instruments, leurs multiples voix se mêlant et s’entremêlant aux vocalises acrobatiques de Leïla et prenant totalement part avec brio à la création du climat de chaque morceau.
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La rythmique est l’ossature charnelle de leur inspiration, parfois simplement portée par la guitare ou de légers frappés de balai, parfois par les voix elle
s même en scat forcené. A d’autres moments, les incantations de chamanes, les psalmodies, les lamentos tziganes, ou les cris inuits, envahissent l’espace. Métallophone, petites bouteilles soufflées, flûte à coulisse, glockenshpiel, et autres percussions concourent à cette pulse dans laquelle on sent battre le sang et les tempes. Ils jouent à cache rythme, à saute tempo, ou à trémolo perché dans une vitalité réjouissante.
Car c’est réjouissant aussi, gai, clownesque parfois. Généreux de toutes façons.

Il faut entendre la manière dont ils vont introduire par exemple le célèbre « Caravan » en percussions corporelles, le tordre en tresses volubiles, le lancer fortement en pleine voix comme un vertige, gentiment mais implacablement iconoclastes.

Il y a également quelque chose intemporel dans Warm Canto. Comme si Leila Martial et ses deux compères avaient cherché à tirer du chant et du rythme la substantifique moelle de la vie et du monde: la course des rivières, le bruissement du vent, les appels des animaux, les roulements des pierres ou des nuages, les chants d’amours des oiseaux ou des hommes en passant de la pureté la plus calme et douce, fragile et bleue à l’exaltation la plus forte, la plus rouge et fracassante. De la vie, du vivant, du singulier, de l’universel.

Tout est accompli, pensé mais pas cérébral. Ce Warm Canto porte bien son nom, brûlant d’émotion et de poésie, vibrant de sonorités et d’âme. Très humain en somme.

Le concert se terminera dans des élancements de fado et des babillements d’ enfants.
L’essentiel est dit et il est drôlement beau…