par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Jeudis du Jazz , Créon (33) le jeudi 14 avril 2022.

Michel Portal est chagriné, le son amplifié de sa clarinette ne lui convient pas, il s’impatiente car Cyril l’ingé son ne lui a pas encore mis la réverb’ demandée (2 secondes!), il peste devant la tristesse de la salle vide que de toute façon les projecteurs dans sa figure l’empêchent de voir. Il se plaint de la poussière, en réalité la légère fumée dispensée pour assoir les lumières. Mais tout redevient comme il le souhaite, Roberto Negro descendu dans la salle le rassure, ça sonne très bien. Les fauteuils sont par contre toujours aussi vides, en effet nous sommes aux balances, une vraie séance de travail. Michel est pointilleux, il s’inquiète toujours même après tant d’années de carrière, des milliers de concerts dans le monde entier avec souvent les plus grands ; Michel est un artiste, anxieux, exigeant mais aussi plein d’humour et de fantaisie. Nous sommes quelques uns à ainsi voir naître ce qui sera le concert du soir ; les partitions balayées d’un regard et de deux ou trois accords de piano ; la set-list se met en place, ça devrait aller vite ont-ils prévenu. Ca durera près de deux heures !

Michel Portal on a tendance à ne le voir que comme un vieux monsieur mais souvenons nous qu’il a été un homme flamboyant, un beau gosse même, sa sveltesse et son port toujours élégant en sont autant de témoignages. Aujourd’hui il est un peu fatigué nous précise Roberto mais ça va bien se passer nous rassure-t-il. Il le connaît bien , ça c’est très bien passé, merveilleusement même.

Ce jeudi du jazz exceptionnel est en mode concert, pas de repas, pas de dégustation de vin, la salle est configurée pour accueillir le maximum de public et même si elle n’affiche pas complet, il y a beaucoup de monde. Toujours un pari pour les bénévoles de l’association Larural que de faire venir des têtes d’affiches, surtout dans le climat actuel.

Quelques accords de piano, la clarinette basse qui se met à chanter et la magie opère déjà. La douceur de timbre de cet instrument, ses nuances, son ambitus si étendu, du plus grave au plus aigu, entre les mains d’un musicien comme Michel Portal c’est de toute beauté. S’appuyant sur une rythmique à la fois efficace et légère du piano préparé de Roberto Negro, il va nous envouter de ses mélodies légères qui ce soir resteront sages, ne se permettant que quelques rares fantaisies free. Une valse celtique, une habanera cubaine, une composition hispanisante « Los Feliz » autant de belles mélodies délivrées sur des rythmes variés. L’excellent Roberto, avec délicatesse lui aussi, assure un tempo que mes jambes identifient comme plus élevé qu’il n’y paraît. Il a préparé son piano – c’est sa signature – trafiquant les cordes basses pour les empêcher de vibrer, leur donnant un son caverneux en parfait contraste avec la pureté de celui des clarinettes.

Michel commente souvent entre deux titres, un peu taquin « C’est pas du jazz ça » me dit-on souvent. « C’est quoi le jazz ? Il est là, ou là-bas ou ici, peu importe » gestes à l’appui. Oh que oui, fi des étiquettes, écoutons la musique, régalons-nous de cette beauté pure, de cette émotion envoyée et ressentie. Laissons-nous aller en écoutant ce solo velouté de clarinette basse, dans un silence absolu, les cliquetis des clés de l’instrument parvenant jusqu’au fond de la salle ; entendre se fabriquer la musique c’est tellement beau.

C’est déjà fini, le temps s’est écoulé trop vite, Michel et Roberto s’enlacent nous font comprendre qu’ils n’ont plus rien à nous jouer, comme si on allait les croire ! Alors Michel va « essayer quelque chose , on verra bien » et nous rappelant ses origines bayonnaises, se lance dans l’hymne basque, d’une limpidité absolue. J’ai justement un cousin basque à côté de moi, un chanteur, il est bouleversé.

Mais Créon en veut davantage et comme il commence à se faire tard Michel et Roberto nous proposent alors une berceuse, une mélodie entendue lors d’un voyage en Afrique du Sud. Les deux compères – ils s’entendent tellement bien – disparaissent sous les ovations, Michel doit en effet être encore plus fatigué… La salle se vide mais les revoilà déjà sur scène pour converser avec ceux qui le souhaitent. Michel reprend même sa clarinette basse pour nous montrer une façon de jouer qu’il n’a pas mise en œuvre ce soir ; il évoque des anecdotes. On sent Roberto admiratif de ce monument de la musique, comme un fils devant son père ou son grand père, l’émotion continue. Et très vite ils rejoindront tous ceux qui au bar refont le concert, ayant du mal à quitter cette bulle d’émotion.

Je vous l’ai dit, magique cette soirée, la quintessence de la musique.

PS : loin des inquiétudes de Michel Portal, le son était parfait et les lumières ainsi que illustrations projetées en fond de scène très réussies ; comme toujours.

Galerie de photos de Philippe Marzat :

les balances

Le concert