par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat

Rocher de Palmer, mercredi 23 février 2022.

Pour cet article la tâche est dure, être à la hauteur de l’évènement exceptionnel, extraordinaire, auquel nous avons assisté hier soir au Rocher de Palmer pour le jubilé de Jean Courtioux* avec son Big Band Jazz Forum 21.

La génèse du projet

Mais remontons un peu le temps. Voilà deux ans Jean Courtioux et son fidèle lieutenant Jean-Patrick Allant se lancent dans un projet un peu insensé vu la situation : remonter un orchestre pour jouer les œuvres du premier. Jean a besoin d’une section rythmique et il va la composer mais avec deux batteries car il se souvient des battles de Buddy Rich avec Gene Krupa ou d’autres. C’est Philippe Valentine – qui lui a succédé au Conservatoire dans la classe de percussions – qui viendra au côté de Jean-Patrick, au passage deux de ses anciens élèves. Jean a joué du vibraphone passage obligé de tout bon percussionniste, il en veut donc un, ce sera Patrice Guillon aux mailloches, ex titulaire de l’ONBA de l’Opéra de Bordeaux et grand amateur de jazz, ce qui n’est pas automatique. Au piano bien sûr, un autre pilier du Conservatoire, Jacques Ballue à la palette allant du Classique au Jazz. Basse, contrebasse ce sera Timo Metzemekers le gaucher lui aussi polyvalent. Du très solide. Reste à trouver les 17 autres musiciens : de bas en haut, cinq saxophonistes, quatre trombonistes, un tubiste, cinq trompettistes et deux cornistes, Jean adorant le très beau son il est vrai du cor d’harmonie. C’est Jean-Patrick Allant qui s’en charge, mêlant plusieurs générations de musiciens professionnels certains ne sachant même pas qui est Jean Courtioux. Mais surtout que des très bons ! (voir ci-dessous)

Février 2021, les musiciens reçoivent leurs partitions et chez certains les sueurs froides arrivent aussitôt. Car l’écriture de Jean est d’une grande richesse mais aussi d’une vraie complexité, ce qui à l’écoute de ses œuvres tellement belles et accessibles peut paraître paradoxal. Chacun travaillera dans son coin jusqu’à ce 20 février 2022 où les vingt et un musiciens et une musicienne seulement, s’enferment avec le Maître pour quatre jours de résidence au Rocher de Palmer pour essayer, puis réussir à jouer ensemble.

La résidence

Pour être allé tous les jours les voir travailler je peux affirmer que ça n’a pas été simple, des premiers balbutiements (tout est relatif, c’était déjà de la musique) à la version du concert, il a fallu des heures d’un travail minutieux. Jean Courtioux est exigeant mais il est aussi ouvert, acceptant les suggestions pour modifier un arrangement, une simple note, tout se passe en harmonie (!) et en toute bienveillance. On sent les musiciens concentrés mais aussi toujours prêts à se chambrer durant les pauses, Jean n’étant pas le dernier. Il leur explique sa musique, l’origine des morceaux, ses intentions, c’est très instructif de voir cela. Je le dis souvent, le public devrait avoir accès de temps à temps à ce travail, pour se rendre compte de ce que cela représente.

Et enfin ce mercredi 23 février 2022, l’aboutissement du projet. Au grand soulagement de tous, en cette période encore difficile pour le spectacle vivant, la salle 650 va se remplir progressivement pour atteindre la meilleure jauge de ces derniers mois. Je me souviens de ce coup de fil reçu de Jean-Patrick Allant il y a un mois, me demandant mon avis, moi qui fréquente beaucoup les salles de concerts, inquiet du manque de fréquentation et se posant la question du maintien du concert pour jouer devant cinquante personnes. Nous étions facilement dix fois plus nombreux hier ! Beaucoup d’amis de Jean, de musiciens ont répondu ainsi à l’appel.

Le concert

C’est Jacques Ballue avec sa verve habituelle qui lance la soirée disant qu’on est tous là pour Lui, écouter Sa musique mais sans encore citer Son nom. Car avant le big band le Jazz Vibes Quartet va assurer la première partie. Jacques Ballue au piano, Jean-Patrick Allant à la batterie, Patrice Guillon au vibraphone et Timo à la contrebasse, prévenu la veille, le ou la vous savez-quoi (je ne veux plus écrire son sale nom) ayant encore frappé ; impeccable Timo ! Les Dieux étaient avec Jean Courtioux, le seul musicien touché par la pandémie – sa hantise ces dernières semaines – ne faisait pas partie de son orchestre ! Le JVQ va nous proposer une entrée en matière lumineuse, tordant en jazz le répertoire de la musique dite savante de Lully, à Bernstein (quelle version superbe de « Cool ») , du baroque au moderne, mêlant Bach à Piazzolla , Haendel au Be Bop, Couperin au Cool Jazz ou la Pavane de Fauré à Bill Evans. Une grande beauté que ces arrangements sacrilèges sûrement pour certains. Pas pour eux et tant mieux pour nous ! Rien qu’avec eux la soirée aurait été réussie !

Le Jazz Vibes Quartet

Entracte puis le rideau qui s’ouvre et bim ! Le Big BanG ! Une harmonie de cuivres flamboyante, un émerveillement musical et visuel ! Ca a vraiment de la gueule un grand orchestre comme ça et comment ça sonne ! C’est Jacques Ballue qui dirige et va présenter le concert et son mentor jusqu’au « Mesdames et messieurs Jean Courtioux ! ». Surgit alors (oui oui, surgit) un jeune nonagénaire tout de blanc vêtu, contrastant avec les musiciens en noir, éternel jeune homme, toujours à l’avant garde au long de sa carrière. Il est tout simplement jeune depuis plus longtemps que nous, toujours aussi enthousiaste.

Et c’est parti pour un fabuleux concert. Sacré musicien, une écriture complexe, on l’a dit, mais belle, pas m’as-tu-vu, des arrangements ciselés, surprenants parfois, des harmonies nouvelles. On entendra du swing, de la valse, du be bop, du blues et ce mambo « maMAN BObo » baptisé ainsi en clin d’œil aux musiciens pour sa difficulté. Avant chaque titre Jean Courtioux vient nous raconter des bouts de sa vie, de son histoire, nous régaler d’anecdotes de son humour taquin. Hommages à Dizzy Gillespie un des premiers concerts qui l’ait marqué à 17 ans, à son ancien élève Bernard Lubat à qui il dédie un « Loubat blues » et sa guirlande sans fin d’improvisations. Hommage à un autre ancien élève qui a bien réussi, le pianiste Arnaud Fusté-Lambezat avec le délicat « Only for you ». Voilà le duel de batteurs, évoqué plus haut, dans « Blue Crab », jubilatoire. Arrive l’évocation romantique et symphonique du lac Tahoe, véritable paradis sur terre selon lui, avec une composition casse gueule, la trouille de notre vie, nous avoue-t-il. Magistral bien sûr.

Nous sommes finalement assez loin des big bands les plus célèbres, ceux de Glenn Miller, Count ou Duke, bien sûr les passages flamboyants, puissants sont présents et nous traversent, mais ils alternent avec des moments nuancés, délicats. Il se passe toujours quelque chose pour les oreilles et les yeux. Dans un titre, le thème parcourt l’orchestre de sections en sections, tel une vague, pour au final être repris par tous. Je pense au dimanche précédent, aux hésitations, aux pains, que tout cela semble loin, beau travail madame et messieurs ! Ca groove, ça swingue, jamais évident avec un tel bataillon. Ces huit titres seront autant de cadeaux, qu’il est bon d’être là.

Bravo aux équipes techniques pour le son parfait et les belles lumières, une prouesse avec une telle formation. Un grand merci à Patrick Duval administrateur du si précieux Rocher de Palmer et à ses équipes tellement efficaces.

Merci Maestro, merci Monsieur Courtioux, merci Jean, instrumentiste, compositeur, arrangeur, conteur et « accessoirement » mécène de la soirée, merci pour cet enthousiasme, ces émotions partagées, vous nous refaites ça quand vous voulez, mais pour les grosses machines que sont les big bands c’est plutôt quand vous pourrez… En attendant on me dit dans l’oreillette que répétitions et concert ont été enregistrés alors s’il vous plaît laissez-nous une trace de ce rare moment on pourra dire qu’on y était !

Personnel du Big Band :

Trompettes : Bruno Bielsa, Sébastien Brebbia, Pascal Drapeau, Mathieu Tarot, Franck Vogler

Cors d’harmonie : Julien Blanc, Pierre-Yves Le Masne

Trombones : Rozann Bézier, Sébastien Arruti, Olivier Miqueu, Nicolas Benedetti

Contre-Tuba : Jérôme Lallemand

Saxophones : Bertrand Tessier, Fabien Chouraki, Julien Deforges, Valentin Foulon, Cyril Dumeaux

Piano, Synthé : Jacques Ballue,

Vibraphone, Patrice Guillon,

Basse : Timo Metzemakers,

Batterie, Percussions : Jean-Patrick Allant, Philippe Valentine.

Chef, compositeur, arrangeur : Jean Courtioux

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*Retrouvez l’article de présentation du concert et l’interview très enrichissante de Jean Courtioux :

https://wp.me/pdxYN8-6VZ

Galerie photos :


Dimanche 20 février : photos PhD

le Jazz Vibes Quartet :