Manu Codjia (guitare), Jérôme Regard (contrebasse), Louis Moutin (batterie).
Samedi 12 janvier 2019, Jazz Off à Eymet

Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier

Ambiance, ambiance, Laurent Pasquon sait créer une atmosphère sympathique avec un repas animé avant l’arrivée de Manu Codjia Trio et son album “Covers”.

Avec “Beat it”, son électrique et groove, d’emblée généreux. Facture nerveuse. Arracher la thématique pour l’envoler dans une farandole folle, folle. Accrochez-vous, on décolle. Excitation cérébrale immédiate ; rattraper un instant le chorus pour lui dérober sa rythmique et l’exploser. Jouissif est peu dire. La contrebasse de Jérôme Regard adoucit le temps gardant juste le tempo nécessaire. On a encore dans les oreilles la maîtrise hystérique de la guitare qui revient en sons planants amplifiés. Influx électriques des sens jazzistiques.

Croiriez-vous qu’il n’a qu’une corde à sa guitare ? Désormais pas, mais il transpose l’onctuosité tendre de Tom Waits avec “Matha”. On sentirait une inquiétude magnifique, géniale même, à choisir le son le plus juste, précisément, et là, construire les variations comme de subtiles enluminures. La contrebasse ponctue finement en déposant des feuilles d’or dans les circonvolutions. La batterie reste très nerveuse. Manu Codjia veut rediviser le son, revenir, repartir dans une tension insatisfaite, et donc brillante. Raconter, raconter encore…

Hendrix ne se retournera pas dans sa tombe ou alors de plaisir, sans aucun doute. Son plus funky, explorer encore, la contrebasse prend vite ; reste trois pulsations comme un jeu de claquettes, suivies par la batterie très « africaine » de Louis Moutin. On finit par un pouls délicieusement irrégulier.

On revient sur la road again avec Bob Marley : faisons chemin ensemble, d’un pas sautillant, et puis sans prendre garde, un pied puis l’autre, on marche dans les airs, le son devient psychédélique, mais repartant d’un son pur, d’origine, Codjia en déploie tout le rayonnement envisageable ou non… électrochocs sensitifs. Ne tentez aucune drogue, ça serait bien trop pauvre !…D’ailleurs, le trio revient sur la route paisible, again.

Manu nous propose une composition de son cru, ballade enrobante, tout en tendresse et finesse avec une contrebasse au charmant bavardage.

Le deuxième set commence par Gainsbourg : “Requiem pour un con” et “Je t’aime moi non plus”. La batterie est toujours tribale. Deux sons se télescopent : la voix de Gainsbourg dans la guitare et la réponse ou l’écho, on choisira ; les marier. Spectre musical bien vivant. Fantômes, vous nous avez laissé votre âme ! Peut-être allez-vous chercher dans vos entrailles cette force créatrice, thèmes profonds, lancinants, obsessionnels. L’homme est fait de deux matières, force extrême et sensualité mesurée.

“Hallelujah” de Léonard Cohen. Bien sûr qu’on ne peut arriver qu’à une prière : amplifier le son, donner à chaque accord un sens, pour une extension immédiate. Grandir, se déployer, admirer en même temps, toujours. La création vient des autres. Codjia scande pour que l’improvisation sorte plus puissante, riche, toujours nourrie et reconnaissante…. comme une liberté méritée, parce que respectueuse.

“Jamming”, composition de Manu, part de la tour de Babel, un babil, le trio ou alors c’est l’espéranto, mais parler toutes les langues : les notes déboulent, dictées par un bègue “Asperger”, logorrhée musicale. Se reposer enfin, quelques sursauts bavards ; la contrebasse encore volubile propose une conversation accompagnée de son amie, la guitare. Dernières répliques croisées.

“Children’s play songs” de Bill Evans. Y a -t-il une berceuse pour les anges ? Ou plutôt si nous devenions des enfants enchantés ?
Une dernière composition de Codjia. La contrebasse de Jérôme Regard avance dans la tourbe, elle émerge et finit par déployer ses belles ailes lourdes comme celles du héron. Ils jubilent tous trois, la musique doit naître et surtout toujours renaître ! incessamment renouvelée.
Je vous jure que l’on voit les doigts se détacher du manche pour envoler le son. Louis Moutin et Jérôme Regard en viennent aux mains. Où il n’est plus question que de tempo, pulsations.

Manu joue ensuite en solo la beauté mélancolique de Bill Evans, “Very Early”. Il veut en restituer la fragilité, en développer la simplicité et nous l’offrir, modestement.

Pour finir, A-ha, groupe new wave norvégien avec “Hunting high and low”. Manu fait signe au compère Louis de choisir le son primitif de la batterie : taper avec les doigts donc. Partir d’une chanson des années 80, l’électrifier dans ce monde, immédiat. Le trio entre dans la danse infinie d’un siècle multiforme. Y construire une structure pulsionnelle, puissante et peut-être indéterminée, mais vivante, magnifiquement vivante, vibrante.

Concert époustouflant ! “Covers” est bien au-delà d’un album de reprises !

Anne Maurellet