Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier

Festival Uzeste à la Réole – Hestejada de las arts – 17/08/19 –

« Improvista »

Michel Portal, clarinette basse, saxophone soprano

Bernard Lubat, batterie, piano et « petits cochons »…

Ce qu’improviser à deux veut dire : presqu’un air de samba, Bernard Lubat à l’affût des inventions de Michel Portal.

Portal orientale la suite, un son pur, au savant bavardage, pas vraiment de chorus, cherche ce que le tempo fait découvrir, provoque des lignes de fuite, se perd dans ces chemins-là, attend que l’ami batteur réponde, et finit par quelques souffles.

Lubat a attrapé le piano, des accords dans les aigus, encourage le saxophoniste à engager la conversation musicale. L’impro surprend les musiciens et enlève l’inhibition du cadre bien connu. Franchir, dit-elle, tordre, pousser, dépasser et amener ainsi les sons, leur façon à se révéler.

Improviser, écouter, entendre plus, s’égarer pour exploiter davantage, ressentir plus ce qu’il advient du travaillé, mais en non-contrôle de l’au-delà de soi. Extorquer.

 

Bien sûr Bernard reconnaît à l’instant les douceurs ou les sursauts de Michel, et l’accueille dans sa création. Parfois Lubat propose, Portal dispose. Le jazz, c’est ça. Entrer dans l’écriture et la sensibilité, la perception de l’autre et trouver des lignes convergentes. Faire l’amour .

Lubat : « J’te dis ça » : piétinement d’oiseaux affairés au piano, le soprano court aussi vite, pas besoin de se rattraper, on est ensemble. Lubat « prépare » le piano, mais la plainte vient soudain de Portal et les trémolos des deux n’oublient pas la mélancolie, toujours en fond d’écran. Lubat fait revenir les volatiles, à Portal de piétiner aussi… Complices, ça veut dire quelques chose…Et puis déconstruire, décomposer les petites bêtes : les volatiles deviennent musique contemporaine, à quel moment ceux-là s’envolent-ils ? Quand les accords nous envoient dans les limbes, dans un espace inhabituel où notre esprit se déplace autrement, enfin perdu ou abandonné.

Portal reprend avec la clarinette basse et lui enjoint le retour au jazz syncopé, moins égaré où le tempo fait la vie, nous laisse le bout des pieds sur terre, juste le bout. Michel apporte les sons qui grincent, crissent alors Bernard reprend sa batterie pour l’enjoyer un coup, lui faire extraire sa plainte.

Et puis, jouer : synonyme, s’amuser. Et puis, nous embarquer dans un bal musette : découper, décrocher, recrocheter, surprendre le son et le tempo eux-mêmes. Les adoucir, les amoindrir, les faire rebondir.

Deux compères !

Intermède. C’est de l’art ou du cochon. Lubat prend deux petits ovins, rythme quand tu nous tiens… Portal ne le laissera pas en découdre seul. Un chien en plastique lui aussi en rajoute une couche. Scoop : « Puisque c’est ça , on va improviser… ». Bien. « Deux doigts de l’homme » (sic) ..et de la femme » et la rythmique est là, de suite, annonçant le doigté de Portal qui allonge le son ; retour à l’envoyeur, petites mouches à l’oeuvre. De là naît une composition, la construction d’une histoire possible. Alors, ils renoncent. Il est question ici d’improviser, de rester au plus près du possible, du juste surprenant, du défrichage déjà œuvrant. Michel Portal a détaché le bec de son instrument, il en fait musique.

Ce sont bien deux oeuvriers pour reprendre les mots chers à Bernard Lubat. Respect.